Homélie du 3e dimanche du temps pascal 2023
« Ils le reconnurent »
Ils sont deux, ils quittent Jérusalem. Ils voient sans reconnaître.
Ils étaient deux, ils sortaient de l’Eden, ils se voyaient sans plus se reconnaître.
A la suite du péché, la Genèse nous dit d’Adam et Eve : « Alors leurs yeux à tous deux s’ouvrirent et ils se rendirent compte qu’ils étaient nus. » Adam et Eve se cachent l’un de l’autre et de la face du Seigneur. Leur nudité leur devient une peine. La connaissance qu’ils ont acquise est, en réalité, une mé-connaissance, un malheur, une connaissance mauvaise qui leur a volé la capacité de reconnaître l’altérité, elle a perverti leur désir et l’a mis en risque de vouloir que l’autre soit objet, esclave, maître, de l’assimiler à soi ou de vouloir être assimilé à lui. Adam s’émerveillait lorsqu’il avait vu Eve pour la première fois, il poussait un cri de joie ; cette joie ne lui est plus donnée sans que vienne avec elle tout le trouble de son regard. Ayant perçu cela en eux-mêmes, ils se mettent à redouter le regard de Dieu, doutant qu’il soit clair, ne sachant plus accueillir sa lumière.
Dans le jardin résonne alors la voix du Créateur, il appelle l’homme en disant : « Où es-tu ? » Sur la route d’Emmaüs, c’est encore le Créateur qui vient à la rencontre des deux pèlerins : « De quoi discutez-vous ? » Où êtes-vous ? Eux ne cherchent plus rien, ils partent cacher leur désespoir. Un instant, ils avaient cru voir la lumière, elle leur a été retirée et cette dernière situation semble pire que leur vie d’avant Jésus, quand ils n’avaient pas lieu d’espérer trop.
Nous lecteurs savons que, sous les mots, se cache le Ressuscité. Cependant, « leurs yeux [sont] empêchés de le reconnaître. » Ici, Luc ne dit pas si c’est Jésus qui se cache ou si ce sont eux qui se voilent la face. Jésus leur est caché mais eux aussi se sont cachés. C’est pourquoi, le Christ ne fait pas semblant, ses questions sont vraies : il demande à connaître les événements qu’ils ont vécus, il demande à les rencontrer, il les cherche, alors peut-être le trouveront-ils.
Ce qui est en jeu ici, c’est la rencontre. Les pèlerins se demandent qui est celui-ci qui ignore les événements, mais, pour nous lecteurs, le suspense est de savoir s’il va être reconnu par les disciples. Tant se côtoient sans jamais se rencontrer. La Résurrection est une œuvre plus grande que la Création dit la liturgie de la Vigile Pascale, mais plus miraculeux encore le fait que des hommes l’aient accueillie. Nous savons ce qu’il en fut de la Création, rien ne laissait supposer qu’il en aille autrement du Ressuscité. Et voici que Jésus vient près d’eux, il n’est pas reconnu mais bientôt leurs yeux s’ouvrent, et, avec eux, leurs cœurs, à la possibilité de cette présence. En retournant à Jérusalem, ils ne sont plus les mêmes, ils ne sont pas simplement les porteurs d’une nouvelle, ils ont été rencontrés, ils se sont ouverts à sa présence, ils se sont laissé voir, ils l’ont vu, ils l’ont rencontré. Amen