Elle et lui

Homélie du 3e dimanche de carême 2023

« Donne-moi à boire » 

Un homme et une femme se rencontrent et boivent ensemble. Tout commence comme un cliché raconté des dizaines de fois, notamment dans la Bible : un homme et une femme, une rencontre près d’un puits, un mariage, des enfants, etc. Aujourd’hui, il n’y a plus de puits, mais c’est encore, autour d’un verre, le même scenario. L’histoire se répète et le conte de fée est beau, trop beau d’ailleurs ; la Samaritaine en sait quelque chose, elle qui semble bloquée dans une boucle temporelle, ayant déjà vécu cinq fois une rencontre semblable et apparemment disposée à la vivre une sixième fois. Sera-t-elle condamnée à la répétition d’histoires d’amour plus ou moins réussies jusqu’à l’épuisement ? A n’être jamais que dans l’illusion sans réalisation ? A être la Cendrillon du conte pour finir comme celle de la chanson de Téléphone ?

On croit donc déjà connaître le dénouement et la déception de la Samaritaine, mais ici le conte prend un tour différent. Tout d’abord parce que le puits où les deux personnages se rencontrent n’est pas n’importe quel puits mais celui creusé par Jacob, le premier patriarche. Ce puits, c’est Israël, Jésus le souligne d’ailleurs : « Le salut vient des juifs ». Cette eau que vient puiser la Samaritaine est un don de Dieu. Les juifs ont reçu de Dieu la parole qui leur annonce le mariage monogame. Jacob lui-même avait été contraint de se marier deux fois et eut ses quatre enfants de quatre femmes différentes, pourtant, c’est dans sa descendance qu’est né Moïse, celui-là même qui recevra de Dieu l’annonce d’une union perpétuelle pour l’homme et la femme. De la fécondité encore trouble de Jacob naît la possibilité d’une union plus lumineuse et au puits qu’il a creusé, va jaillir une eau plus vive.

Cependant, par Moïse, ce n’était encore qu’une promesse inaccomplie : si pour sa part il n’a jamais été marié qu’à Séphora, on ne peut pas en dire autant de ceux qui lui ont succédé. La loi était belle dans son idéal mais il restait à ce qu’elle puisse être accomplie dans la réalité et le peuple juif continua à vivre d’une certaine polygamie – si ce n’est simultanée, au moins successive ; dans un autre passage, Jésus reconnaît d’ailleurs que Moïse s’est trouvé contraint d’accepter la possibilité de la répudiation. La Samaritaine est témoin de ce drame : avoir reconnu en elle le désir d’un unique époux et ne pas en vivre, se retrouver comme sans époux car, en avoir eu cinq, c’est comme ne pas en avoir de véritable, ainsi que le remarque le Christ.

« Le salut vient des juifs. » Les juifs étaient donc porteurs d’une promesse inaccomplie, c’est aussi par eux que cette promesse va trouver sa réalisation. En donnant naissance à Jésus, le peuple d’Israël fait jaillir sur l’humanité une eau vivifiante. La Samaritaine croyant trouver là un sixième conjoint semblable aux précédents, rencontre en fait le seul qui puisse lui donner de vivre l’amour vrai. « Qui boira de l’eau que moi je lui donnerai n’aura plus jamais soif. » Par les juifs, nous avons reçu l’annonce d’un mariage libre, fidèle, fécond et indissoluble ; par Jésus, cette union est rendue possible. Voici le don de Dieu annoncé aujourd’hui à la Samaritaine et par elle à ses compatriotes, à nous.

Que nous soyons apparemment bloqués dans des amours irréalisées ou persuadés de vivre un conte de fée, nous sommes ramenés nous aussi au puits de Jacob. Avec la Samaritaine, entendons l’annonce faite par Moïse, ouvrons au Christ notre soif pour recevoir de lui la réalisation des promesses. Amen.