Homélie du 4e dimanche du temps ordinaire 2023
« Heureux »
Le Christ voit, le Christ parle.
En « voyant les foules »,
Jésus voit les pauvres de cœur, celui qui n’a pas été aimé, celle qui a été rabrouée, les déçus, les blessés dans leur désir d’aimer, les manipulés, les ratés du cœur, ceux dont la vie s’appelle solitude.
Il voit ceux qui pleurent, les inconsolés, ceux dont les larmes tombent à terre sans être recueillies, ceux à qui on a interdit de pleurer, les yeux rouges que les autres font semblant de ne pas voir et dont ils se détournent.
Le Seigneur voit les doux, ceux que le mal n’a pas endurcis, dont la peau est encore celle d’un nourrisson, que chaque coup blesse sans qu’ils sachent répondre, qui continuent de sourire sans comprendre ce qui leur arrive, les cœurs ouverts qui ont froid mais ne se ferment pas.
Il voit ceux qui ont faim et soif de justice et qui jamais ne sont rassasiés. L’innocent condamné, le défenseur que l’on n’a pas écouté, le juste plongé dans l’opprobre par la fausse rumeur, la victime accusée à qui l’on fait payer pour son tortionnaire, ceux qui n’avaient pas les moyens pour que la justice soit rendue et qui règlent les dettes des autres. Les affamés et assoiffés d’une justice inaccessible.
Le Christ voit les miséricordieux. Ceux qui souffrent du mal mais pardonnent, ceux qui laissent les torts retomber sur eux pour le salut de l’autre, ceux qui oublient de se faire rembourser, qui ne pensent même pas à la reconnaissance de ce monde, se cachant pour faire le bien afin que leurs débiteurs ne soient pas des obligés.
Il voit les cœurs purs, ceux qui vivent sans être salis, ceux qui continuent de porter un regard bon sur le méchant, dont la naïveté est moquée, ceux dont l’œil reste lumineux dans les ténèbres, ceux que le mal, faute de pouvoir les vaincre, se plaît à faire souffrir, les ravis, les trisomiques, les imbéciles heureux.
Le Sauveur voit les artisans de paix. Ceux qui, contre l’évidence, continuent de croire qu’un autre monde est possible. Ceux qui s’interposent entre les adversaires, ceux sur lesquels s’abattent le plus souvent les coups des deux partis, ceux qui s’oublient pour que les autres puissent triompher, les oubliés de l’Histoire, les forts renonçant à leur pouvoir, les faibles désirant la paix mais ne pouvant l’imposer.
Il voit enfin les persécutés pour la justice, les martyrs, les tyrannisés, les boucs émissaires, les réduits au silence, tous ceux sur qui la force aveugle du mal s’abat parce que, bien que bons et justes, ils n’ont pas les moyens de se défendre et de faire prévaloir le bien.
Si nous avions regardé dans les yeux du Christ ce jour-là, ce sont tous ceux-là que nous aurions vus s’y refléter. Et alors, ouvrant la bouche, il proclame un mot créateur, un mot décisif : « Heureux ». De même que Dieu créa le monde par une parole : « Que la lumière soit », Jésus recrée ceux qu’il voit par une parole. En disant « Heureux », il agit et donne joie à tous ceux qui écoutent cette parole. Pour tous, le bonheur est dans l’accueil de cette parole de Jésus, c’est lui qui consolera, fera justice, établira la paix, sera la miséricorde, nous rendra Fils de Dieu, nous donnera le Royaume et d’y voir Dieu. Tous ceux qui entendent sa parole seront ainsi rendus à la dignité et la beauté qui est l’appel de la race humaine et que le Christ réalise. Amen.
J’aime les gens qui doutent
Les gens qui trop écoutent
Leur cœur se balancer
J’aime les gens qui disent
Et qui se contredisent
Et sans se dénoncer
J’aime les gens qui tremblent
Que parfois ils nous semblent
Capables de juger
J’aime les gens qui passent
Moitié dans leurs godasses
Et moitié à côté
J’aime leur petite chanson
Même s’ils passent pour des cons
J’aime ceux qui paniquent
Ceux qui sont pas logiques
Enfin, pas « comme il faut »
Ceux qui, avec leurs chaînes
Pour pas que ça nous gêne
Font un bruit de grelot
Ceux qui n’auront pas honte
De n’être au bout du compte
Que des ratés du cœur
Pour n’avoir pas su dire :
« Délivrez-nous du pire
Et gardez le meilleur »
J’aime leur petite chanson
Même s’ils passent pour des cons
J’aime les gens qui n’osent
S’approprier les choses
Encore moins les gens
Ceux qui veulent bien n’être
Qu’une simple fenêtre
Pour les yeux des enfants
Ceux qui sans oriflamme
Et daltoniens de l’âme
Ignorent les couleurs
Ceux qui sont assez poires
Pour que jamais l’histoire
Leur rende les honneurs
J’aime leur petite chanson
Même s’ils passent pour des cons
J’aime les gens qui doutent
Mais voudraient qu’on leur foute
La paix de temps en temps
Et qu’on ne les malmène
Jamais quand ils promènent
Leurs automnes au printemps
Qu’on leur dise que l’âme
Fait de plus belles flammes
Que tous ces tristes culs
Et qu’on les remercie
Qu’on leur dise, on leur crie :
« Merci d’avoir vécu
Merci pour la tendresse
Et tant pis pour vos fesses
Qui ont fait ce qu’elles ont pu »
Anne Sylvestre