Homélie du 4e dimanche de l’Avent 2022
« Ne crains pas »
Saint Joseph est le père de Jésus. Comme tout père, il est au service du mystère de son enfant. Un mystère qu’il redoute tout d’abord. La parole de l’ange « ne crains pas » sous-entend que ce n’est pas pour des raisons de vaudeville que Joseph veut s’éloigner de Marie. La crainte biblique est ce qui habite le cœur de l’homme saint devant la grandeur, la beauté et la lumière divines. Joseph se retire parce qu’il est juste. Il éprouve la crainte de l’homme fragile devant la splendeur d’une vocation qui le dépasse. C’est le sentiment du père juste qui apprend que son épouse attend un enfant : je ne suis pas à la hauteur. Habituellement, elle est contrebalancée par la joie de donner la vie et par la nécessité de s’occuper d’un enfant qui n’aura pas d’autre père. Aussi peu sûr de lui qu’il puisse être, le père ne peut s’éloigner de son enfant sans que sa crainte ne se transforme en lâcheté. C’est là que Joseph diffère car, s’il a appris de Marie sa grossesse et, sans doute, l’origine de celle-ci, ni lui ni Marie n’ont aucune raison de penser qu’il ait une place dans la naissance de ce fils venu du ciel ; au contraire, la justice de Joseph l’amène à se retirer en laissant cela à Dieu qui saura mieux faire.
Dieu sait effectivement faire et il lui envoie son ange pour l’appeler à être le père de cet enfant. Là où, habituellement, l’annonce de la grossesse est pour le père à la fois crainte et joie, prise de conscience de son incapacité et appel divin par la bouche de son épouse, pour Joseph il fallut deux temps : d’abord la crainte et la conscience de sa faiblesse puis l’appel à la paternité et la joie de recevoir un fils.
Cette vocation de père, Joseph l’accomplit par une parole qui nomme l’enfant : Jésus – Dieu sauve. Il faut oser pour nommer son enfant. Il y a une sorte de paradoxe dans l’appellation. En effet, l’enfant est celui qui échappe, qui n’est pas à son père. Et la première chose que fait le père à la naissance de son enfant c’est d’annoncer à voix haute son nom. Un nom qu’il a reçu – habituellement dans le dialogue avec son épouse, ici dans la prière et le songe – mais qu’il va imposer à son enfant. Le père se tient à une brèche très étrange où il oblige son enfant à recevoir des choses dont celui-ci ne pourra jamais se départir : un nom, une famille, un arbre généalogique, tout en étant, et par ces impositions mêmes, le serviteur de la liberté de cet enfant. Ici, Joseph est appelé à donner un nom au créateur de l’univers, on mesure l’arrogance que ce serait si ce n’était pas sa vocation. Il n’y a pas moins de présomption dans tout prénom qu’un père donne à son enfant qui lui est encore inconnu. C’est la seule rencontre de la vie où l’un des deux décline l’identité des deux, qui plus est sans rien connaître de l’autre.
Dans ce premier face à face d’un père avec son enfant et dans toutes les paroles qui suivent, c’est la liberté de l’enfant qui se joue : sans racines, elle ne peut grandir, enfermée dans ses racines, elle étouffe. Le père est racine sans savoir vers où poussera son enfant. Nous savons combien il y a d’échecs dans ce domaine, de lâchetés ou d’emprisonnements paternels qui nous ont blessés ou que les pères parmi nous redoutent d’avoir infligés. Ici, la parole du prophète qui donne un autre prénom – Emmanuel – dit bien que, s’enracinant dans la parole de Joseph, Jésus accomplira sa vocation en toute liberté.
En confiant les pères de famille à saint Joseph, demandons qu’ils soient gardés dans une joyeuse crainte de la grandeur qu’est chacun de leurs enfants et qu’ils se fassent avec courage, autorité et humilité serviteurs de leur mystère. Amen.