
Homélie du 1er dimanche de l’Avent 2022
« Jusqu’à ce que »
À l’heure où le réveil sonne, le dormeur est projeté d’un état dans l’autre. Ses rêves s’éloignent pour faire place à la réalité. La sonnerie du réveil est soudaine, le passage des rêves à la réalité peut parfois être long mais il est inéluctable. Quel que puisse être alors notre désir de retourner au sommeil – et quand bien même nous renoncerions à nous lever pour dormir encore –, nous ne pouvons pas faire que la réalité ne soit pas. Elle ne nous a d’ailleurs pas attendu pour continuer à être. Tandis que nous dormions, et alors que nos rêves nous paraissaient le tout de notre vie, le réel continuait à être, le temps s’écoulait, malgré nous, emportant avec lui le dormeur comme un bois flottant dans le courant d’un fleuve.
Au matin, l’alternative n’est pas de savoir lequel du rêve ou du monde est réel mais lequel nous choisirons. La question du petit jour n’est pas notionnelle, elle est existentielle. Dès que j’entends mon réveil, aussi nimbé de songes que je sois, je sais bien où se trouve le réel. Vais-je le rejoindre ? Certains matins, la sonnerie du réveil est délivrance : les nuits mauvaises, insomniaques, angoissées ou dans l’attente d’un jour joyeux, ces jours-là, le jour qui se lève est comme une libération. D’autres fois, nous entendons le réveil sonner comme très loin de nous ; il est venu nous chercher alors que nous étions profondément endormi, parfois, il nous y arrache à un rêve précieux. C’est alors par effraction qu’il nous rappelle à la réalité, comment répondrons-nous à sa voix ? Préférerons-nous le sommeil et ses songes ou bien le réel ?
Un jour, sonneront les trompettes de l’Apocalypse. Le Christ sera le soleil levant d’un jour nouveau et éternel. Comment nous y préparer dans la nuit de ce monde ? Cela semble aussi difficile que de nous préparer au réveil au milieu de notre sommeil. Jésus le sait puisque, de manière contradictoire, il dit : « Tenez-vous prêts » et « c’est à l’heure où vous n’y penserez pas que le Fils de l’homme viendra ». Aucun de nos préparatifs ne peut donc nous éviter d’être surpris de sa venue. Se tenir prêt ce n’est pas s’éviter la surprise mais être à même de l’épouser. La sonnerie de notre réveil est toujours inattendue lorsqu’elle résonne en plein sommeil, seul compte que nous choisissions le réel quand c’est l’heure. Nos préparatifs ne peuvent anticiper celle-ci mais ils visent à nous défaire de ce qui est temporaire pour embrasser l’éternité.
Bien des réalités de nos existences s’apparentent à des rêves car elles ne sont pas destinées à durer, celles qui sont éternelles sont les seules qui soient vraiment réelles. Nous préparer, c’est savoir choisir ce qui dans notre vie est vraiment réel, c’est demander au Seigneur en cet Avent de nous apprendre à discerner l’essentiel, à le choisir par-dessus tout pour qu’au jour où il viendra, nous le laissions nous défaire des songes de ce monde pour entrer dans l’éternité. Pour cela, nous avons besoin de temps : trop de caricatures se logent dans les mots « essentiel » et « superficiel. » Le lieu par excellence où ce discernement s’opère en nous, c’est la prière. Parce qu’elle choisit contre tous les calculs raisonnables de perdre du temps pour Dieu, c’est là qu’il peut nous enseigner où se trouve l’éternité dans chacune de nos vies et quelle est cette part de nous qui sera glorifiée tandis que l’autre sera laissée en terre. Amen.