Two pence

Homélie du 25e dimanche du temps ordinaire 2022

« Faites-vous des amis avec l’argent malhonnête »

Deux pence en poche, Michael Banks accompagne son père à la banque où celui-ci travaille ; il espère acheter quelques graines pour nourrir les oiseaux sur les marches de Saint-Paul, la grande cathédrale de la City. Mais voilà que les directeurs de l’institution financière lui décrivent tout ce qu’il pourrait faire en plaçant ces deux pence plutôt qu’en les dépensant. Lui faisant miroiter trains transafricains, barrages sur le Nil, plantations de thé en Inde, navires parcourant les mers, ils décrivent un monde d’aventures qu’il pourrait vivre s’il voulait bien leur confier son argent. Le regard de Michael laisse entendre qu’il ne croit rien de tout cela et il demande qu’on lui rende ses pièces, déclenchant par ses cris la banqueroute de l’établissement tandis qu’il s’enfuit avec sa sœur et ses deux pence. Vous aurez reconnu ici un extrait de Mary Poppins, le film de Disney.

Nous n’en sommes pas loin en ces mois d’inflation : ce que l’argent nous avait promis, ce qu’il nous garantissait se trouve remis en cause tandis que sa valeur s’effondre. L’argent est malhonnête et séducteur, nous dit Jésus, mais, mis au pas, il peut s’avérer un serviteur efficace, il est l’heure de s’en souvenir. L’Évangile nous montre deux personnages qui jettent de l’argent dans le Temple – autrement dit en Dieu puisque le Temple est le lieu même de la présence de Dieu – mais de manière totalement contradictoire. Il s’agit de Judas et d’une pauvre veuve dont nous ignorons le nom. L’un s’est fait avoir par l’argent et son geste est désespéré, l’autre a choisi de renoncer à tout argent et son geste est plein d’espérance dans le salut véritable. 

Judas est pragmatique. Il ne comprend pas que Marie Madeleine ait versé un parfum de grande valeur sur les pieds de Jésus, il dit alors que l’on aurait mieux fait de le vendre pour donner cela aux pauvres. Si l’évangéliste ajoute que Judas dit cela non par souci des pauvres mais parce qu’il volait dans la bourse, c’est pour nous montrer que Judas est déjà sous l’emprise séductrice de l’argent. Le ver est dans le fruit, le souci des pauvres est plutôt du côté de la folle dépense amoureuse que de celui du pragmatisme froid. Au soir de sa trahison, Judas ne saura que faire de ces trente deniers qui lui brûlent les doigts et que les grands-prêtres ne veulent pas reprendre. Cet argent est maudit. Aussi, dans son désespoir, il les jettera dans le Temple avant d’aller se pendre. Il proclame par ce geste que l’argent ne peut rien pour lui mais il fait erreur en ne croyant pas pouvoir « se faire des amis avec cet argent malhonnête », il jette l’argent dans le Temple mais se refuse à Dieu qui seul pouvait le sauver. Ayant voulu servir Dieu et l’argent, il ne croit plus ni en l’un ni en l’autre. 

La pauvre veuve qui dépose tout ce qu’elle a pour vivre, deux petites pièces, dans le trésor du Temple, sait, elle aussi, que l’argent ne peut rien pour elle. Quelle que soit sa détresse, elle n’attend pas de l’argent le salut. Sur ce point, elle est semblable à Judas mais elle diffère radicalement de lui en espérant au-delà et en le manifestant par son offrande. Elle dit ainsi à l’argent qu’il ne peut rien pour elle et qu’elle attend de Dieu le refuge. 

Ces heures de crise sont un révélateur, en ramenant l’argent à son statut temporaire et en rappelant qu’il n’est pas une valeur d’avenir, elles nous donnent de voir si nous avons placé notre espérance en lui.  Là où notre vie chancelle c’est que l’argent y a trop de pouvoir. Si nous sentons que notre vie est mise en péril par la crise qui s’annonce, il est peut-être temps de rééquilibrer notre existence pour qu’elle s’affranchisse davantage de ces illusions. L’argent nous chuchotera de nous accrocher à notre confort, nous tâcherons de donner de notre nécessaire comme la pauvre veuve ; il nous encouragera au pragmatisme, nous ferons des folies d’amour comme Marie Madeleine ; il nous poussera à nous réfugier en lui, nous le donnerons davantage à ceux qui manquent, et alors nous trouverons refuge dans le seul qui puisse nous le procurer : le vrai Dieu. Amen.