Homélie du 24e dimanche du temps ordinaire 2022
« Mangeons et festoyons »
Gâteaux, bougies, chanson, cadeaux, c’est toutes les fois la même chose. Chez nous, chez les autres, avec ceux que nous aimons, là où nous débarquons par hasard sans connaître personne, toujours le même rituel. Qu’est-ce qui fait pourtant que la fête n’a pas toujours le même goût ? Les mêmes gestes, les mêmes paroles, mais la joie qui joue à cache-cache, qui se donne parfois généreusement et d’autres fois nous échappe.
Cette fête de l’évangile est une sorte d’anniversaire puisqu’il s’agit d’une nouvelle naissance, il y a deux fils et un père. Un fils qui est surpris par la joie, un père qui en est comblé, un fils qui s’y refuse.
Il y a les jours où nous avons été le fils cadet. Nous avons reçu la joie qui nous était donnée, parfois au-delà de ce que nous attendions. C’est ce jour où, ignorant qu’ils avaient été avertis de notre anniversaire, nous avons été fêté par de quasi inconnus. C’est cette grand-mère qui s’était fait voler ses bijoux et à laquelle ses enfants offrent sa bague de fiançailles refaite à l’identique ; en ouvrant son cadeau, elle retrouva l’émerveillement de ses vingt ans. C’est cette danse improvisée à laquelle nous nous sommes joints, oubliant tout le reste et recevant la joie. C’est la douceur des repas partagés sous les arbres en plein été, dans la chaleur d’un foyer au cœur de l’hiver, du chant par lequel d’autres, en célébrant notre anniversaire, se réjouissaient pour nous et avec nous.
Il y a des jours où nous avons été le fils aîné. Nous avons refusé ou n’avons pas pu nous joindre à la joie. Nous avions nos raisons et n’avons pas voulu les lâcher pour danser avec les autres. Parfois, nous sommes parti sur la pointe des pieds comme n’ayant pas le cœur à ça mais ne voulant pas abîmer la joie des autres. Mais d’autres fois, nous sommes resté au bord du terrain de jeu, nous sommes allé bouder dans notre chambre, nous avons voulu massacrer la fête, nous avons crié à l’injustice, nous nous sommes roulé par terre ou bien, adulte plus civilisé, nous avons discrètement fait en sorte que tous sachent notre désaccord. Alors notre refus a agi comme un poison gâchant un peu la fête de tous, comme une fausse note dans le chant, comme un goût amer dans le gâteau.
Il y a des jours enfin où nous avons été le père. Nous avons voulu donner à l’autre la joie et lui manifester qu’il était la nôtre. Ce sont toutes les attentions dont nous entourons les anniversaires : les kilomètres que nous faisons pour rejoindre quelqu’un qui passe un cap, les mots où nous disons combien nous sommes heureux de la vie de l’autre, ces embrassades affectueuses, les recherches du cadeau idéal, les recettes de gâteaux que nous nous échangeons, les « qu’est-ce qui pourra lui plaire ? », les grands anniversaires surprises ou les repas intimes en fonction du caractère de celui que nous voulons fêter, les chants, les danses que nous lançons pour entraîner les autres ; nos tentatives aussi d’aller chercher celui qui s’y refuse pour qu’il puisse recevoir la joie, notre bonheur à le voir s’y joindre ou notre délicatesse vis-à-vis de lui s’il persiste à s’y refuser.
Chacun de nos cœurs est fait de cadet, d’aîné et de père. D’un cœur ouvert attendant la joie, d’un cœur blessé ne voulant s’y joindre, d’un cœur en débordant qui voudrait la donner à d’autres. Il nous appartient parfois de choisir pour être en harmonie avec la musique que jouent les autres, au rythme de la danse du monde ; d’autres fois, nous n’y arrivons pas : nos bras sont ouverts et n’embrassent que du vent ou bien se ferment à ceux que les autres nous tendent. Alors c’est de l’unique Père que nous espérons recevoir l’unité du cœur à laquelle nous aspirons et qui nous donnera de nous joindre à la fête ; car toutes les fois où la joie nous y est donnée, c’est lui qui se tient discrètement à la porte avec l’ami qui nous accueille, autour de la table où nous partageons nos repas d’anniversaire, c’est lui qui donne la note de nos chants et le rythme de nos danses, c’est lui qui anime tout cœur en fête. Amen.