Le mouvement ou la vie

Homélie du 18e dimanche du temps ordinaire

« Que reste-t-il à l’homme de toute la peine et de tous les calculs pour lesquels il se fatigue sous le soleil ? »

Il y a deux mouvements dans notre vie qui tracent cercle et ligne. Un mouvement circulaire : c’est le battement de nos cœurs et le rythme de notre respiration, l’alternance des jours et des nuits, le retour des saisons, le balancement des joies et des peines, la succession du travail et des vacances. Tout ce qui change pour ensuite revenir sur ses pas. Et tout ceci trace les cercles de notre vie. Un mouvement linéaire : c’est la croissance de l’enfant, l’âge qui vient, l’expérience qui augmente, les années qui passent, la naissance et la mort qui sont toutes deux sans retour. Tout ce qui ne reviendra jamais en arrière et qui trace la ligne de notre vie. 

L’un et l’autre peuvent nous donner un temps l’impression de sens parce que, cercle ou ligne, ils nous mettent dans un mouvement. Qui dit mouvement dit orientation de ce mouvement et donc semble avoir un sens : celui de la flèche qui indique vers où ce mouvement va. Cependant, à s’y arrêter plus attentivement, nous entendons l’Ecclésiaste : « Vanité des vanités, tout est vanité ». À quoi bon ce mouvement ? À quoi bon des cercles qui nous ramènent à l’origine et nous font aussi peu avancer que le hamster dans sa roue ? À quoi bon des lignes qui peuvent bien construire des tours puis de plus grandes tours encore sans chercher autre chose que d’aller de l’avant, mais quel « avant » ? Voilà cet homme qui, profitant de l’alternance des saisons, saisissant le cercle dans lequel il est comme enfermé, emmagasine un peu plus à chaque tour annuel du manège, le voilà qui croit y échapper en s’emparant d’un mouvement linéaire, en faisant plus grands ses greniers, mais cela ne dure que jusqu’au jour où tout s’arrête. La mort sera plus forte que toutes nos tentatives – circulaires ou linéaires – de nous débattre contre elle.

De nous-mêmes, nous ne faisons jamais rien que brasser de l’air. Ce n’est pas nous qui rendrons éternel et significatif un quelconque de nos mouvements, nous pouvons bien tracer des cercles et des lignes, ils ne sont qu’autant de traces dans le sable, effacées par le premier coup de vent. 

Alors, nous entendons la parole de Jésus : « Heureux les pauvres de cœur car le Royaume des cieux est à eux. ». Notre vie n’a de sens que vue du ciel, c’est de là-haut que se voient les vraies richesses et le sens de notre vie. Petit à petit, si nous nous laissons faire, le Seigneur nous dépouillera de toute tentative de donner du sens par nous-même, il éloignera de nous le mensonge qui nous fait croire que nous allons quelque part sous prétexte que nous sommes en mouvement. Cela nous fera certainement peur parce que nous craignons la mort et croyons la conjurer en nous agitant. Jésus nous ramènera au silence, à sa présence dans la prière. Par elle, il donnera plus de sens à un infime geste empli de son amour qu’à tout tourbillon dépourvu de sa vie. Là est l’éternité. Amen. 

Les enfants seuls savent ce qu’ils cherchent. Ils perdent du temps pour une poupée de chiffon, et elle devient très importante, et si on la leur enlève, ils pleurent…

Antoine de Saint-Exupéry (29 juin 1900 – 31 juillet 1944)