Le secret du chamois

Homélie du samedi de la 13e semaine du temps ordinaire

10e anniversaire de sacerdoce

« Les montagnes laisseront couler le vin nouveau »

Nous étions quelques-uns à marcher dans la neige du début de mai. Au-dessus de nous, nous vîmes trois chamois traverser la pente sur laquelle nous peinions à avancer parce que nos pieds s’enfonçaient et que la montée était raide. Eux semblaient voler, ils couraient avec légèreté et grâce, soulignant ainsi notre pesanteur et notre peine. J’ai voulu comprendre leur secret. N’étaient-ils pas, eux aussi, soumis à la gravité ? Comment pouvaient-ils courir comme si ce n’était pas le cas ?
Le secret du chamois, c’est son cœur. En rapport de son poids, le chamois a un cœur immense ; celui-ci lui permet de monter les pentes les plus escarpées à toute vitesse et sans forcer quand nous sentons que le nôtre bat la chamade dès lors que nous essayons de grimper en gardant le rythme. C’est aussi le secret des saints. Pour nous, nous sentons bien vite nos limites, nous essayons d’être simples sans y réussir, nous nous sentons pesants, inadaptés à ce que la vie réclame de nous. Ce n’est pas faute d’essayer mais le cœur nous manque ; nous voudrions aimer sans limite, mais voilà que la vie réclame quelque chose de plus, et il nous faut alors une pause pour reprendre notre souffle. Les saints semblent courir avec beauté sur les pentes les plus abruptes de l’existence. Ils sont ceux dont le cœur nouveau et ample peut accueillir pleinement le vin nouveau que le Seigneur veut y verser.
Alors, nous regardons les saints comme on regarde les chamois en montagne, avec admiration et avec le désir de les suivre sans bien voir comment cela serait possible, car lorsque le vin nouveau nous a été donné, nous avons senti notre cœur craquer. Quand nous avons connu la joie, quand nous avons goûté à quelque chose du Royaume, dans les instants d’éternité de nos vies, quand il nous a semblé toucher le ciel, alors nous avons compris que nos cœurs étaient trop étroits, trop vieillis, qu’ils risquaient de céder au moment où ils étaient emplis de la grâce de Dieu.
« On met le vin nouveau dans des outres neuves. » Il y a là une promesse. En montagne, nous lèverons sans doute toujours les yeux vers les chamois sans pouvoir les suivre mais, dans le monde de la grâce, nous ne sommes pas condamnés à regarder d’en bas les saints, à les voir courir avec souplesse sans pouvoir faire de même. Le Seigneur nous promet non seulement de nous combler de ce vin nouveau qui est l’Esprit Saint – celui qui nous conduira dans la vérité tout entière – mais aussi de nous permettre de l’accueillir. À quoi servirait un vin nouveau qu’il laisserait se perdre en le versant dans des cœurs trop vieillis ? La promesse de l’Esprit Saint va avec la promesse de cœur larges et souples, capables de courir, de s’élever jusqu’à lui comme en volant au-dessus des pentes les plus raides. Si nous peinons encore, en repensant à la course des chamois, désirons et demandons que ce soit notre avenir. Amen.