Homélie du 23e dimanche du temps ordinaire 2021
« Jésus l’emmena à l’écart »
Guérissant un sourd qui avait aussi du mal à parler, Jésus demande ensuite le silence sur cet acte. Il y a là quelque chose d’apparemment paradoxal, cependant, si nous nous y penchons avec plus d’attention, nous nous rendrons compte que c’est bien notre parole que le Seigneur veut guérir en nous demandant de nous taire. Les mots débridés, impudiques ou irréfléchis sont muets, incapables de dire la réalité profonde de ce qui a été vécu avec Jésus. Celui qui, trop vite, va proclamer comme un fait sensationnel la guérison du sourd s’interdit d’en comprendre le mystère. Il aveugle aussi son auditoire en lui bloquant la route qui va vers le Christ au lieu de la lui indiquer. En effet, ceux qui l’entendent iront voir un phénomène au lieu de rencontrer leur sauveur, et ceux qui sont à la recherche de cette rencontre vraie se détourneront de lui, croyant avoir affaire à un prodige de plus.
Par notre parole, le Christ veut rencontrer des personnes et nous risquons de lui barrer la route. Que faudra-t-il donc pour que nous puissions parler et que notre parole soit féconde ? Suivre le chemin du sourd amené à Jésus. La première étape est une mise à l’écart. Jésus ne le guérit pas devant tout le monde. Il l’emmène dans un lieu d’intimité. Il y a dans les gestes de Jésus (« avec sa salive, [il] lui toucha la langue ») quelque chose d’un étonnant baiser : celui-ci dit une rencontre cœur à cœur du Seigneur avec l’homme sourd. Lorsque le Christ prononce le « Effata ! Ouvre-toi ! », l’âme de celui qui est là s’ouvre à la présence divine et y est unie. Sa guérison est une rencontre intime et intérieure avec le Sauveur.
À la suite de cette mise à l’écart, alors que l’homme guéri est ramené parmi les siens, Jésus leur demande de ne le dire à personne. Toutes les fois que nous cherchons à exposer le secret de ce que nous avons reçu dans l’intimité de la prière et de notre relation à Dieu, nous devenons muets ; nos mots peuvent sans doute briller, ils ne seront pourtant qu’un son stérile et ne permettront pas à ceux qui nous écoutent de rejoindre le Christ. « Mon secret est à moi » disait saint Philippe Néri lorsqu’une personne essayait d’en savoir davantage sur son union particulière à Jésus et les grâces de l’Esprit Saint en lui ; malgré ce silence, ou plutôt grâce à ce silence sur son intimité, saint Philippe a illuminé par sa parole et ses actes ceux qui s’approchaient de lui. Il ne parlait pas de lui et de ce qu’il avait reçu, il prononçait le nom de Jésus. Les racines peuvent donner vie à l’arbre si elles restent cachées dans la terre ; découvertes, elles meurent et, avec elles, la plante tout entière.
Une vie intérieure plongée dans le silence est la racine d’une véritable parole de témoin, celle dont Jean Baptiste est le modèle au début de ce même évangile de saint Marc : « Vient derrière moi celui qui est plus fort que moi […], je vous ai baptisés avec de l’eau, mais lui vous baptisera avec l’Esprit Saint ». Nos paroles ne sont jamais que l’eau ; si elles prétendent dire tout ce qu’est notre vie chrétienne, elles sècheront vite et seront sans lendemain. En revanche, si elles sont enracinées dans le secret d’une vie intime où nous nous laissons saisir par le Christ et qu’elles indiquent la lumière sans chercher à rendre compte de toute cette vie qui bat en nous, si elles sont vraies et pudiques, lumineuses autant que respectueuses du mystère qu’est chaque être, alors elles pourront devenir pour d’autres un guide sur le chemin. Elles pourront les conduire à la rencontre avec le Christ alors même que nous nous serons retirés sur la pointe des pieds. Amen.