Homélie de l’Assomption
« Les plus riches du peuple, chargés de présents, quêteront ton sourire »
Lorsque David fit monter l’arche du Seigneur à Jérusalem, elle semblait enfin reposer à sa place, mais cette place n’était pas celle d’un enfant nouveau-né dans les bras de ses parents, elle était bien plutôt celle d’une vieille dame au milieu de de ses enfants et petits-enfants. Les barres qui tenaient l’arche étaient creusées à l’endroit qui avait reposé sur les épaules des générations de porteurs qui s’étaient succédé depuis le don de la Loi. Ses décors dorés avaient été éraflés par le sable du désert, elle était patinée par le vent des nuits dans la campagne et le souffle des trompettes qui l’avaient escortée sept fois autour de Jéricho, elle portait comme une gloire que l’on ne peut acheter les marques de l’histoire du peuple élu et les Hébreux l’entouraient de leurs soins comme une grand-mère qui continuait de les bénir et de faire rayonner sur eux la présence divine.
Au jour où elle monte au ciel, la Vierge nous sourit. Ce n’est pas le sourire d’une jeune fille, c’est le sourire d’une vieille dame. Marie n’arrive pas au ciel comme au couronnement d’une vie toute droite qui devait la mener là, elle accueille le fruit mûr de sa relation avec le Seigneur. Le temps a approfondi cette relation à mesure qu’elle choisissait d’en vivre. Son sourire rayonne de chacune de ces minutes, et, en particulier, des plus décisives : celles qu’on appelle les épreuves. Le visage de Marie montant au ciel nous reste mystérieux et nous ignorons beaucoup de sa vie, nous regardons le sourire de Marie comme on voit la beauté d’une patine sans pouvoir la relier précisément à telle minute qui l’aurait créée. L’Évangile nous relate pourtant certaines de ses épreuves et je voudrais m’arrêter sur deux d’entre elles.
Il y eut, tout d’abord, l’Annonciation. L’ange chez elle et cette épreuve qui ne disait pas son nom, plus terrible encore que l’annonce sur laquelle Zacharie avait achoppé. Un ange qui vient dire à une jeune fille qu’elle portera Dieu lui-même. Il y a dans le « Comment cela va-t-il se faire puisque je ne connais pas d’homme ? » plus qu’une simple question technique. Il est salutaire que les parents soient deux pour recevoir pleinement leur enfant sans qu’aucun ne le fasse absolument sien. Un parent célibataire porte une incomplétude plus vive, c’est celle-ci que Marie souligne. Comment Marie pourrait-elle accueillir le plus beau des enfants, le voir grandir en elle, puis hors d’elle, l’éduquer et le voir libre sans un autre pour poser un regard aimant sur leur relation ? Certes, Dieu ne la laissa pas sans le secours de Joseph mais, déjà, puisqu’elle lui avait ouvert le manque de son être, le Seigneur put y faire son œuvre à l’ombre de l’Esprit Saint.
Il y eut, enfin, la Croix, l’épreuve de l’espérance nue. Plus aucun « comment ? » n’y trouvait de réponse. Il n’y avait même plus moyen de prononcer de pareilles questions devant ce fils transpercé. Marie eut le cœur déchiré entre la profondeur de sa douleur et la grandeur d’une espérance sans visage. En restant là, en consentant à cet écartèlement, Marie laissa son âme se dilater aux dimensions de Dieu, son cœur fut alors ouvert à une maternité universelle : pour Jean et pour chacun de nous qui peine en ce monde.
Le sourire de Marie manifeste la grandeur d’âme qu’elle a reçue de ces deux moments et, certainement, de bien d’autres heures d’épreuves et de joie. Parce que Marie y ouvrait à chaque fois son cœur à Dieu qui le pétrissait, elles portèrent en elle du fruit. Marie n’est pas née toute faite, elle a grandi et mûri ; aujourd’hui, c’est cette vieille dame rayonnante vers laquelle nous tournons nos regards, quêtant son sourire. Regardons-la, contemplons sa beauté pleine d’expérience et sa lumière pleine de mémoire, alors son sourire fera rayonner sur nous le secret d’un amour qu’elle a rencontré et qui s’est donné à elle. Amen.