Un cri

Homélie du 12e dimanche du temps ordinaire 2021 

« Dans leur angoisse, ils ont crié vers le Seigneur »

Enfant, il n’y avait pas de distance entre notre douleur et notre cri. Sans bien savoir vers qui, sans même l’espérance que quelqu’un puisse lui répondre, le nouveau-né crie sa peine dans la nuit. Il ne s’occupe pas de savoir si ce cri est utile, s’il sera fécond, ni même s’il lui apportera le salut, il crie. En grandissant, nous avons appris à ravaler nos pleurs, à retenir nos exclamations, à ne pas faire peser sur les autres nos douleurs, nous essayons de faire que nos peines ne deviennent pas mouvements d’humeur contre notre prochain et nous les portons, si souvent dans le silence de notre cœur. Même dans la peine, nous présentons à la plupart un visage souriant ; à quelques-uns, nous confions nos souffrances, en essayant de les civiliser autant que possible, en cherchant les mots qui pourront les rendre audibles. Ce n’est plus qu’en de très rares occasions, submergés par une vague trop importante ou par l’urgence d’un danger, que nous crions encore. 

Pour en arriver à ce cri, il faut que notre personne soit totalement transpercée, blessée, laissée sans défense. Ce cri, il jaillit des profondeurs d’un être qui n’a plus rien pour se défendre contre le danger qui l’a envahi, plus de mots pour dire ce qui le traverse et qui se retrouve comme un nourrisson : nu et désarmé. La tempête dans laquelle sont pris les apôtres est de cet ordre. En effet, ce sont des pêcheurs, ils sont dans leur milieu habituel, ils connaissent ses risques et ne sont pas susceptibles de s’affoler pour rien ; s’ils crient, c’est qu’ils savent être perdus, n’avoir plus aucune chance de s’en sortir par leurs propres moyens. 

Sans doute faut-il un jour dans notre existence en être arrivé là pour prononcer une prière qui soit vraie, une prière qui soit un cri vers le Seigneur et qu’il puisse exaucer. Contrairement à ce qu’on entend souvent, je ne crois pas que ce soit ce cri que Jésus reproche aux apôtres. On peut couper les mots en quatre, chercher ce qui, dans ce qu’ils ont crié, manque ou est imparfait mais, en réalité, quel parent reprocherait à son enfant l’imperfection de ses mots lorsqu’il est en pleine détresse ?

Jésus prononcera d’ailleurs un cri semblable sur la croix – « Mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné ? » – et il exauce ici celui des apôtres, les entraînant par leur cri dans une confiance plus grande en lui. Puisse notre prière jaillir de ces profondeurs-là, puisse-t-elle être débarrassée de tous les faux-semblants, les préventions et les autocensures dont sont teintées nos relations sociales. Puissions-nous y crier vers le Seigneur comme des enfants apeurés dans la nuit qui tendent les bras vers celui dont ils espèrent encore la venue salutaire sans bien savoir comment elle pourrait se produire. Amen.