Le temps qui reste

Homélie du 11e dimanche du temps ordinaire 2021

 

« Il ne sait comment. »

 

Temps ennuyeux, temps bousculé, temps qui nous fuit, temps qui nous pèse. Temps met aussi la division entre nous, entre les lents à comprendre et les vifs d’esprit, entre les enthousiastes de la première heure et ceux dont le cœur a besoin de mûrir pour accueillir la joie. Et puis, une minute de musique, un chant entonné tous ensemble et nous voilà au même rythme, comme n’ayant qu’un seul battement de cœur au rythme de Dieu. Nous pensions peut-être que notre salut viendrait de l’abolition du temps, nous redécouvrons alors la joie d’être et de vivre dans le temps, le bonheur de prendre son temps, de marcher tranquillement jusqu’à une fontaine, d’être témoin de la croissance d’un enfant, de vibrer au son d’une symphonie qui prend exactement le temps qu’il lui faut.

La bonne nouvelle de ce dimanche c’est le don du temps. Chrétiens, nous n’avons pas seulement tout le nécessaire pour accueillir Dieu en nous, nous recevons aussi le temps qu’il faut pour qu’il puisse grandir en nos âmes. Nous recevons ce temps et il est une chance. Il y a bien sûr dans cet évangile le temps des semailles et le temps de la moisson. On imagine la moisson pleine de joie, elle le sera d’autant plus que le temps de la croissance aura été accueilli avec la bénédiction dont il est porteur. Il ne s’agit pas simplement d’être patient en attendant la moisson sans rechigner mais de trouver la joie qui est déjà dans la croissance même, dans la semence qui grandit encore cachée, dans la fragile beauté du germe et dans l’épi qui mûrit.

Cette joie est celle des parents contemplant leur enfant qui prend son temps : ne s’embarrassant pas de ses prétendus retards, ne se targuant pas de ses prétendues précocités, grandissant à son rythme et à son heure. Il n’est d’ailleurs même pas besoin d’être parent pour regarder avec bonheur un enfant qui marche : s’arrêter, rêver, repartir en arrière, courir puis stopper net pour s’extasier sur une découverte apparemment infime qui est alors son univers et qui se dépose en lui comme un trésor supplémentaire pour sa vie.

Cette joie est aussi celle de la musique. Le propre de la musique est qu’elle ne puisse être entendue que dans le temps. Tous les arts ont partie liée avec la durée mais le caractère fixe du tableau, de la sculpture et même l’aspect disponible du poème ou du roman nous font parfois croire que nous pourrions y accéder dans un espace qui serait affranchi du temps. La musique ne nous permet pas de croire à ce mensonge, elle est, par essence, l’art du temps qui passe. Elle nous donne le goût de la durée. Parce que nous découvrons que notre partie préférée de la symphonie sonne mieux quand nous l’écoutons au sein du mouvement entier – voire du morceau entier –, elle nous montre que certaines choses ne s’accueillent pleinement qu’à leur heure. Elle nous enseigne que notre cœur est au rythme de Dieu et qu’en accueillant le tempo du Beau, nous nous mettons au tempo pour lequel nous sommes faits. Et lorsque vient le climax, il est porteur de chacune des notes qui l’a précédé, il les fait résonner pour les sublimer.  

La musique nous fait ainsi accueillir le rythme d’un autre qui nous précède et nous entraîne et, de ce point de vue, elle ouvre nos cœurs à l’accueil du temps qui passe. Nos vies sont des symphonies, mouvements lents et rapides qui ont chacun leur grâce, leur temps est donné par Dieu. En mettant nos cœurs à son rythme, nous germerons et grandirons jusqu’au temps de la moisson. Amen.