Au ciel

Homélie de l’Ascension 2021

A quoi bon ? Si le Christ est retourné dans l’inaccessible, à quoi bon son passage sur la terre ? La situation des apôtres après trois années avec Jésus risque d’être pire qu’avant de le connaître. En effet, il vivait une vie comme les autres, travaillant pour vivre, aimant leurs proches, croyant dans le brouillard, imaginant peut-être un royaume de Dieu qui pourrait un jour se manifester, un ciel sans doute. Cependant, tout cela restait bien loin, un peu abstrait, et leur existence était certainement bien plus centrée sur ses aspects les plus tangibles. Le ciel était une possibilité mais les journées étaient faites du réel le plus accessible : de la rugosité des filets et des échardes que l’on prend à monter dans la barque, du goût du poisson grillé au matin d’une nuit de pêche, de la douceur des eaux du lac en été et de leur froideur en hiver, de la beauté et des odeurs des collines qui les entourent, de leurs amitiés et de leurs familles.

Jésus était venu les arracher à cette vie rude et simple de pêcheurs, il les avait entraînés au-delà, les avait fait monter jusqu’au Thabor, et mieux encore, jusqu’à la contemplation de sa lumière pascale. Voilà qu’ils avaient vu le ciel, ils l’avaient entendu, ils l’avaient même touché en tenant Jésus entre leurs mains. S’ils devaient en être séparés, n’aurait-il pas mieux valu ne jamais connaître cette lumière ? Maintenant brûlés d’un feu divin, s’ils devaient revenir aux rives du lac sans Jésus, ce serait le pire des exils, ce serait savoir leur vie derrière eux sans jamais rien espérer de mieux que le passé. Les apôtres étaient-ils condamnés à être jusqu’à leur mort les nostalgiques d’un temps béni mais perdu ? 

Ayant contemplé le Christ ressuscité, les douze n’envisagent pas que cela cesse. C’est ainsi que nous pouvons comprendre leur question apparemment maladroite : « Seigneur, est-ce maintenant le temps où tu vas rétablir le royaume pour Israël ? » Puisque le Christ est ressuscité, le ciel ne peut plus les quitter, ils cherchent donc à comprendre comment il va être établi à jamais pour eux. Ils cherchent avec les moyens qu’ils ont, ils cherchent à hauteur d’homme et ils trouvent l’idée d’un royaume, un lieu de paix où rayonne la victoire du Christ, quelque chose de semblable à la Pax Romana, en un peu mieux. D’une certaine manière, ils ont raison, il est impensable que cela cesse, autrement cela n’aurait pas commencé. La lumière céleste est éternelle ou elle n’est pas. Cependant, les apôtres manquent de mots pour poser leur question et ils ne peuvent savoir la forme que prendra ce qu’ils appellent le « royaume ». 

Leur cœur cherche quelque chose, leur esprit n’est pas capable de se le représenter et leurs mots manquent pour exprimer l’espérance qui est en eux. Jésus va les leur donner en leur indiquant la manière dont ils vont vivre du ciel. En effet, entrant dans le sein du Père, Jésus ne quitte pas ses apôtres, il les plonge avec lui dans le ciel. En se faisant homme, c’est comme s’il avait ouvert une fenêtre qui permettait aux disciples de contempler la lumière divine, voilà qu’il va les plonger avec lui dans cette lumière, ils ne la contempleront plus de l’extérieur, ils en vivront et la transmettront. Depuis que nous avons reçu l’Esprit Saint, c’est de cette même lumière que nous vivons. Alors que Jésus monte au ciel, souvenons-nous des jours où nous y avons goûté et prenons le temps de bénir le Seigneur qui nous y a accueillis au jour de notre baptême. Amen.