Le cœur du pasteur

Homélie du 4e dimanche de Pâques 2021

« Je connais mes brebis, et mes brebis me connaissent. »

Jésus est le seul pasteur. Nous, prêtres, sommes appelés à être son image fidèle. Lorsque nous entendons alors la description qu’il fait de lui-même, nous pouvons légitimement nous demander si nous sommes à la hauteur de la tâche et comment correspondre à notre vocation. 

Pour être loyal envers celui qui seul a donné sa vie pour nous, pour ne pas se prétendre plus que ce qu’il est et ne pas prendre la place du Sauveur, le prêtre est d’abord appelé à être un bon mercenaire. Il accomplira donc son service dans la mesure de ses capacités et de ses compétences, à faire simplement le travail qui lui est demandé. Modestement et en y mettant toutes ses forces disponibles, il sera pour un moment le représentant du Christ. Tout en faisant tout ce qu’il peut pour collaborer à la mission de l’Église, il saura aussi reconnaître ses limites, renoncer à ce qui dépasse ses facultés. Pour être prêtre, sans doute faut-il donc commencer par être mercenaire, par ne pas vouloir être plus que soi-même, par ne pas se prétendre le sauveur de qui que ce soit et reconnaître que l’on n’est qu’un humble serviteur. 

Pourtant, le don que fait le Christ va plus loin : vient un jour dans la vie du prêtre où il sera uni plus intimement à l’unique pasteur. De mercenaire qu’il est, Jésus l’appelle à devenir berger. Cet appel se fait entendre au moment où le Seigneur lui partage l’amour des brebis qui est le sien. En effet, ce qui différencie le mercenaire du pasteur, c’est la connaissance aimante des brebis. Le mercenaire peut faire son travail aussi bien que possible, cela reste un travail, il ne le fait jamais que par une délégation limitée et sans se sentir personnellement responsable des brebis au-delà de son périmètre. Alors qu’il accomplit ainsi son service, le prêtre est perpétuellement témoin de la relation aimante entre les brebis et leur berger – notamment par la célébration des sacrements –, il sait bien qu’il doit rester au seuil de ce mystère, qu’il n’est que le serviteur inutile de cette relation ; pourtant le Seigneur peut, au moment où il l’a choisi, lui partager l’amour même qu’il a pour chacune des brebis et pour le troupeau tout entier. Alors, le prêtre voit naître en lui un amour qui n’est pas le sien, qui est celui du Christ. Grandit en lui un cœur qui est le cœur même du Christ.

C’est d’abord de l’intérieur que le Seigneur le fait ainsi communier à sa dignité de pasteur, c’est en commençant par le cœur qu’il l’a rendu semblable à lui mais, du cœur, il le conduit à l’action. L’amour des brebis que le Seigneur lui a partagé le pousse à accomplir cette union dans le don de soi. Alors le prêtre peut aller au-delà de ses forces humaines, non plus poussé par la velléité ou l’orgueil qui aurait été celui du mercenaire, mais habité par la connaissance amoureuse que Jésus a des brebis, il peut aller avec son Seigneur jusqu’à la croix qui donne vie. « Le bon pasteur donne sa vie pour ses brebis ». Il la donne parce qu’il les connaît et qu’il les aime. Tant que cet amour n’a pas suffisamment grandi, le prêtre sera au mieux un bon mercenaire mais au jour où le Christ lui aura fait don de cette connaissance et de cet amour, il pourra choisir de donner sa vie comme son Seigneur et être ainsi plus parfaitement l’image du bon pasteur. Amen.