
Homélie du jour de Pâques
Dic nobis Maria quid vidisti in via ?
« Venez et voyez », telles étaient les premières paroles que Jean avait entendues du Seigneur. Au bord du Jourdain, le Baptiste lui avait montré l’Agneau de Dieu et Jean avait rencontré Jésus. Il l’avait compris petit à petit : ce jour-là avait donné sens à sa vie. Dans la voix de Jésus, il avait reconnu celle du pasteur. Son âme avait, par elle, trouvé sa direction. Trois années seulement s’étaient écoulées depuis ce moment mais elles semblaient pleines d’un nombre de souvenirs tel que le monde lui-même ne suffirait pas à contenir les livres qu’on en écrirait. Il n’aurait su décrire ce qui faisait de chacun des instants passés auprès du Christ un instant béni. Souvent, il ne s’y était rien passé d’extraordinaire, des jours de marche, des repas ici et là, de simples échanges et du silence, mais la présence de Jésus en avait fait des heures de lumière. Et puis, il y avait eu cette journée au sommet de la montagne et le Seigneur transfiguré inondant Pierre, Jacques et Jean de lumière. Là-haut, il avait goûté au ciel, il avait cru que cela ne cesserait jamais, il avait été suspendu dans l’éternité. Enfin, le dernier soir, il y avait eu le repas de la Pâque où, malgré l’ambiance menaçante, Jean, tout près du cœur du Seigneur, avait été empli de la joie d’une présence délicate et aimante. Jésus était là, Jean ne voulait rien d’autre.
Tout lui avait été arraché. En quelques heures, de Gethsémani au Golgotha, Jésus lui avait été retiré. Il ne lui était resté que ces souvenirs brûlants. Ils revenaient en foule, l’un derrière l’autre, et parfois tous ensemble, ils étaient innombrables et chacun porteur d’une joie déchirante. Chaque parole, chaque sourire, chaque minute, tout était marqué en lui et il mesurait que chacun de ces instants avait formé son être. Sans Jésus, il n’aurait rien été. Il ne pouvait plus vivre comme s’il ne l’avait pas connu et, pourtant, Jésus mort, cette rencontre semblait s’être perdue dans une voie sans issue alors qu’elle était l’espérance même. Jean n’avait plus rien compris. Son cœur était trop petit pour recueillir tout ce qu’il avait reçu de Jésus, il ne voyait pas comment oublier la lumière mise en lui par le Christ mais il ne savait pas non plus qu’en faire.
Le passé était perdu et l’avenir impossible. Il se demandait si tout cela n’avait été qu’un rêve. Il avait pu se mentir à lui-même, vouloir tellement croire à la lumière qu’il l’aurait inventée. La veille encore, il pensait avoir attendu le Christ toute sa vie, maintenant, il se demandait s’il l’avait vraiment rencontré. Il ignorait s’il était heureux d’avoir croisé la route de Jésus ou plus misérable encore qu’avant de le connaître. Pourtant, encore une fois, les mots, la voix, lui revenaient et, avec eux, son rayonnement, ce qu’il en avait reçu. Il ne savait plus. La lumière lui semblait désormais interdite, l’horizon bouché.
Puis, ce matin-là, le cri de Marie-Madeleine.
Il avait couru, il ne savait pas pourquoi. L’énergie du désespoir l’avait poussé. Un instant retenu par le retard de Pierre, il avait attendu puis il était entré dans le tombeau, il avait plongé là où Jésus était mort. Et le barrage avait craqué, le passé s’était délié, l’avenir s’était ouvert, la lumière l’avait submergé. Jésus était vivant et il le serait toujours. Ces instants si éphémères vécus avec le Christ lui étaient rendus, il savait désormais qu’ils deviendraient son ciel. La présence aimante de Jésus lui était donnée pure, claire et éternelle. Amen.