Jésus seul

Homélie des Rameaux 

« Je frapperai le berger, et les brebis seront dispersées. »

Alors que s’éloignent de lui, les uns après les autres, ceux qui l’ont entouré, ceux qu’il a aimés et qui l’ont aimé, Jésus s’enfonce dans la solitude. Sa passion s’apparente à un long dénuement de toute forme d’affection et de présence humaine. Judas est le premier à partir : parce que nous connaissons déjà la fin de l’histoire, nous sommes peut-être heureux de voir s’éloigner le traître, pourtant Jésus l’avait choisi et aimé ; il n’est pas différent des autres qui se disperseront au fur et à mesure, il n’est que le bout de la pelote, celui par lequel le démon se plaira à tirer le fil pour que s’écartent tous les autres.

Vient ensuite l’endormissement des apôtres à Gethsémani ; dans cette agonie, Pierre dort et Jésus ne trouve nul endroit où reposer sa tête. Puis c’est l’arrestation et tous s’enfuient, même au prix de leur dignité, comme celui-là qui préfère laisser son vêtement entre les mains des gardes et s’évader nu.

Jésus lui-même semble choisir cette solitude : « Vous pouvez dormir et vous reposer » et les disciples fuient. Puis la fuite devient trahison, c’est Judas qui l’embrasse et Pierre qui, par trois fois, le renie. Les apôtres se mêlent ainsi aux accusateurs. La seule assistance que le Christ reçoit est celle de Simon de Cyrène et elle est paradoxale car c’est contre son gré qu’il aide Jésus à porter sa croix : il est réquisitionné, aucun de ceux qui accompagnaient le Christ vers le supplice n’ayant voulu l’assister. 

Pour que la solitude soit complète, ce sont enfin ses vêtements qu’on lui arrache : cette œuvre tissée par les hommes pour protéger son corps et qu’on lui retire, c’est le dernier soutien humain qui lui est enlevé. Le voilà abandonné et repoussé plus loin encore par les blasphèmes et les insultes de ceux qui entourent la croix. Plus personne n’est là pour lui. Le Père lui-même n’est d’aucun secours : « Pourquoi m’as-tu abandonné ? »

Quelques femmes sont là cependant, elles regardent de loin sans pouvoir vivre cette solitude à sa place ni l’y rejoindre. Elles ne l’ont pas trahi mais elles restent à distance, elles le laissent aller comme si elles avaient compris que quelque chose d’essentiel se jouait dans cet éloignement. Jésus va, se défaisant des acclamations mensongères, des amitiés factices, des faux-semblants de relations, de toutes les tentatives mensongères pour se croire unis. Assoiffé d’amour, Jésus laisse se creuser en lui cette soif jusqu’au bout. Au bout de cet abandon, il trouvera le Père. C’est lui qui le relèvera, lui rendra la vie et comblera son attente. À notre tour, nous suivrons Jésus sur la croix, nous entrerons dans cette solitude pour rencontrer Dieu en vérité. Alors, ayant reçu du Père la vraie mesure de l’amour, nous retournerons vers les hommes avec un cœur neuf, capable d’aimer en vérité. Amen.