L’heure du jugement

Homélie du 4e dimanche de carême

Quel jugement se produit dans l’Évangile ? Celui du Christ : c’est lui qui est jugé et condamné. Pour comprendre le « jugement » dont il parle à Nicodème, regardons son jugement à lui et sa condamnation. Alors, nous voyons deux niveaux : apparemment, c’est le Christ qui est jugé mais, en réalité, en le condamnant, les juges sont jugés par la sentence qu’ils prononcent. Il y a le jugement extérieur et le jugement intérieur, le jugement extérieur va mener Jésus à un châtiment porté sur lui par les autres sans salir son innocence intérieure ; le jugement intérieur va conduire les cœurs de ses bourreaux à s’enfermer dans leur refus. Ces deux niveaux sont illustrés par un passage du chapitre 7 de l’évangile de saint Jean ; les notables juifs y utilisent contre Jésus l’argument suivant : « Parmi les chefs du peuple et les pharisiens, y en a-t-il un seul qui ait cru en lui ?[1] » Ce qui revient à dire : « Tu as forcément tort puisque je ne te crois pas. » ; c’est l’argument de la fermeture du cœur qui ne donne aucune chance à l’autre de prouver son innocence. Cette déclaration fait écho à la phrase de Jésus que nous venons d’entendre : « celui qui ne croit pas est déjà jugé. » Ainsi, les pharisiens disent que Jésus est coupable car aucun d’entre eux n’a cru en lui et, en réalité, c’est eux qui s’enferment dans le jugement qu’ils posent sur Jésus.

Refusant d’emblée de croire, ils n’ont d’ailleurs même pas aperçu que, dans leurs rangs, il y avait un pharisien qui commençait à s’ouvrir à la parole du Christ : c’est Nicodème qui réplique à ses confrères : « Notre loi permet-elle de juger un homme sans l’entendre d’abord pour savoir ce qu’il a fait ?[2] ». Il y a donc, d’un côté, ceux qui se bouchent les oreilles pour ne pas entendre l’innocent, de l’autre, celui qui demande à entendre, celui qui, bien que dans la nuit, cherche la lumière.

Dans ce court affrontement entre l’ensemble des notables et l’un d’entre eux, se tient déjà en germe ce qui se décidera au jour de la Passion. En effet, c’est au pied de la croix que la vérité sera faite sur le cœur de l’homme, que le jugement sera prononcé, que le salut sera donné. Là, plus d’équivoque, la vérité rayonne et la croix fait le tri entre le mauvais et le bon larron, celui qui se ferme sur son mal et celui qui accueille la lumière du pardon, entre Judas et Pierre, tous deux traîtres, l’un allant se pendre, l’autre accueillant le regard du Christ, entre les apôtres qui fuient et les femmes fidèles, entre Pilate jugeant et son centurion reconnaissant le juste, entre les pharisiens incrédules organisant la garde du tombeau et Nicodème, lui encore, venu parfumer et ensevelir le corps du Seigneur. Au pied du Fils de l’homme élevé de terre, la lumière jaillit, elle est condamnation pour celui qui la rejette « de peur que ses œuvres soient dénoncées », elle est salut pour celui qui vient à elle et dont il devient manifeste que « ses œuvres ont été accomplies en union avec Dieu. »

Il n’y a entre la rémission et la condamnation que la fine épaisseur de notre liberté ; de notre oui viendra le salut ou de notre refus le jugement, la lumière ou les ténèbres, le ciel ou l’enfer. L’heure de la croix fera la vérité ; pour chacun de nous, c’est à l’heure de la mort que seront rassemblés tous les Golgotha de nos vies et qu’éclairés par le Christ lui-même, nous y dirons ce que nous sommes devant lui. D’expérience, nous savons pouvoir être Judas ou Pierre, le bon ou le mauvais larron, l’amie fidèle ou le disciple fuyard. Alors, nous espérons autant que nous redoutons l’approche du Christ, nous l’espérons comme salut, nous la redoutons comme jugement, nous la souhaitons comme l’heure où nous pourrons enfin pleinement et définitivement dire oui et craignons d’y prononcer un non qui nous enfermerait dans les ténèbres. 

Ne restons pas dans cette expectative confiante et inquiète car cette heure est aujourd’hui. Cette heure, nous la vivons déjà dans chaque épreuve ; cette heure, c’est la rencontre de ce jour avec le Seigneur élevé devant nous. Là, choisissons-le, accueillons sa lumière qui brûle nos péchés et fait rayonner notre bonté. Jésus, souviens-toi de moi quand tu viendras dans ton Royaume. Amen.


[1] Jn 7, 48

[2] Jn 7, 51