La liberté confiée à la loi

Homélie du 6e dimanche du temps ordinaire

« Je le veux, sois purifié »

Obligé de s’éloigner des hommes, de crier « impur » pour ne pas qu’on l’approche, le lépreux évoque Adam se cachant après le péché originel. C’est la liberté mutilée par le mal qui est venue casser la dynamique de la communion, empêchant le pécheur d’entrer en relation avec les autres, le séparant de Dieu et le coupant de lui-même. Et, comme Dieu vint appeler l’homme en disant « où es-tu ? », Jésus sort à la rencontre du lépreux. Heureusement, la phrase du lépreux : « Si tu le veux, tu peux me purifier » manifeste que le péché n’a pas tout détruit de la liberté du pécheur, comme la lèpre garde vivant le corps auquel elle s’attaque et dont elle tient son existence, le péché a laissé subsister le fond de l’être qu’il est venu parasiter, l’Esprit peut donc continuer d’agir dans le pécheur et être au fond de lui un point d’appui pour la grâce. 

Grâce à ce qu’il reste de sain en lui, le lépreux s’abandonne entre les mains du Christ. « Je le veux, sois purifié » : Jésus guérit ici en unissant sa liberté à celle du lépreux et vient ainsi renouveler cette liberté de l’intérieur. « Si tu le veux, tu peux me purifier » revient à dire : « Si tu le veux, tu peux guérir mon vouloir ». Jésus le touche donc et il reprend ici le geste créateur de Dieu qui modela l’homme de ses mains. L’effleurant de la main comme au plafond de la Sixtine, Jésus recrée le lépreux. Tout autre que Dieu aurait été rendu impur en posant la main sur la peau du lépreux ; le Verbe ne pouvant être atteint par le mal, c’est lui qui rend pur le lépreux en s’approchant de lui. À travers la guérison de la maladie, c’est la liberté du lépreux qui est guérie, elle est rendue à elle-même. Parce qu’il s’est abandonné entre les mains du Christ, le parfaitement libre, celui-ci a pu guérir sa liberté et en faire une liberté réconciliée avec elle-même, avec Dieu et avec les autres. Il reste à en vivre. 

Tout de suite après ce salut, vient la loi. Embryonnaire, la liberté nouvelle demande encore à être éduquée, à se fortifier, à croître pour grandir à la mesure de son appel. À la demande initiale du lépreux adressée à Jésus correspond maintenant la demande que Jésus adresse à celui qui, rendu à lui-même, a tous les moyens de suivre le chemin du bien. C’est la liberté confiée à la loi. « Ne dis rien à personne, mais va te montrer au prêtre, et donne pour ta purification ce que Moïse a prescrit dans la loi » : Jésus montre au lépreux le chemin de la loi car, maintenant, il peut l’accomplir. Baptisés, nous avons été réconciliés, nous goûtons de cette liberté, c’est la même qui nous est rendue au sortir de chaque confession ; et, chaque fois, nous sommes confiés à la loi, c’est-à-dire appelés à mettre notre liberté au travail dans l’accomplissement du sacrifice quotidien prescrit par notre situation particulière. Ce passage-là est certainement celui où nous achoppons le plus souvent. 

Ainsi en va-t-il du lépreux qui, croyant pouvoir court-circuiter cette étape, ne peut profiter pleinement de sa guérison. Il préfère ici le quart d’heure de célébrité à la vie de lumière. Nous ignorons la fin de son histoire et nous pouvons espérer que, en reprenant ses esprits, il a fini par se rendre à la loi à laquelle l’invitait le Christ pour vivre d’une vie nouvelle. « Ce sera pour les gens un témoignage » : pour notre part, nous savons que le vrai témoignage, celui qui porte du fruit, naît dans l’accomplissement – la plupart du temps caché – de notre appel, de celui que le Christ adresse au secret de notre âme. Cette liberté vivante a grandi en nous au fur et à mesure des années, appuyée sur la grâce de Dieu et son salut, nourrie de la fidélité patiente à sa parole, enrichie de chaque acte d’amour reçu et donné dans l’humilité, c’est elle dont nous pouvons espérer qu’elle rayonne de la lumière céleste et donne aux autres d’en percevoir quelque chose pour s’y abandonner à leur tour. Amen.