Homélie du baptême du Seigneur
« Tu es mon Fils bien-aimé ; en toi, je trouve ma joie. »
Il nous arrive parfois de recueillir par la vue d’un geste ou l’écoute d’une simple parole quelque chose de la relation qu’entretiennent deux êtres. Un regard d’affection, la délicatesse d’un mot, un simple mouvement nous donnent alors à contempler le mystère qu’est l’amour vrai d’un père pour sa fille, d’une épouse pour son époux, de deux amis… L’espace d’un instant, nous sommes ainsi témoins d’une réalité pleine de lumière qui se manifeste dans sa beauté quand elle reste la plupart du temps cachée au cœur des êtres et à eux-mêmes. Délicatement, nous essayons alors de ne pas en savoir plus et de recueillir simplement ce qui nous a été révélé en le considérant comme ne nous appartenant pas.
Dans l’évangile du baptême lu ce dimanche nous est manifesté l’amour qui est en Dieu même. Au moment où Jésus surgit des eaux du baptême, nous sommes plongés dans la Trinité et d’autant plus qu’ici c’est à travers les yeux mêmes de Jésus que nous contemplons l’amour du Père pour lui et que nous entendons la parole venue des Cieux.
« Tu es mon Fils bien-aimé ; en toi, je trouve ma joie ». Cette phrase est adressée au Fils par le Père. Elle est le secret d’un amour. Elle ne mérite d’être proclamée à voix haute qu’en raison de ce qu’elle dit de l’intimité du Père et du Fils. Plus un amour compte, plus il est menacé d’être mal compris ; tout ce qui est éventé risque d’être détourné, corrompu et gâché. C’est pourquoi la pudeur protège nos relations les plus précieuses. Le Seigneur prend un risque immense à s’exposer ainsi ; pour bien entendre cette parole, pour l’accueillir comme un trésor, entendons-la comme le mystère qu’elle est, comme un lien d’amour dont nous sommes les témoins émerveillés, les hôtes indignes.
En l’entendant ainsi, en osant à peine la recueillir, nous pourrons alors espérer en comprendre quelque chose et entrer dans l’amour où la Trinité nous invite. Cet amour est premier. Lorsque le Père dit « en toi, je trouve ma joie », il ne le dit pas au bout de la course. Comme il aurait paru normal qu’il le proclame au soir de la croix après la lutte et la peine de Jésus, et signifie alors sa fierté devant l’œuvre accomplie par le Fils ! Non, ici, le Père parle avant que le Fils ait accompli quoi que ce soit. D’ailleurs, pour le souligner, l’évangéliste Marc fait de ce passage l’incipit de son évangile. La joie du Père est dans la vie même du Fils, il n’a pas besoin que le Verbe fasse ceci ou cela, soit ceci ou cela, son existence même comble de joie celui qui la lui donne.
Jésus voit aussi les cieux se déchirer et l’Esprit descendre sur lui comme une colombe. Cet Esprit est l’onction du Père, c’est l’amour du Père qui vient reposer sur lui. De quelle force sommes-nous emplis lorsque l’amour d’un autre repose sur nous ! L’enfant qui sait la confiance de ses parents, l’aimé qui sait que quelque part est une aimée qui compte sur lui, etc. Agir par amour, c’est voir son courage redoubler, agir parce que l’on est aimé, c’est être invincible. L’onction dont le Père revêt le fils est cet amour-là, il est l’Esprit qui donne à Jésus d’être vainqueur avant même d’avoir combattu, vainqueur parce qu’il est aimé, vraiment aimé, pleinement aimé, aimé sans condition.
Notre place n’est pas autre. Saint Marc nous le fait sentir en décrivant la scène par les yeux de Jésus, en rapportant la parole venue des cieux et adressée au Christ. Nous ne sommes pas simplement les témoins indiscrets de la scène, nous sommes invités à y participer, c’est la raison pour laquelle le Père et le Fils révèlent aujourd’hui l’amour dont ils vivent. Ils l’exposent pour nous le partager. Dans cette relation, nous avons notre place qui est celle même du Fils. Nous sommes en Jésus ; en trouvant sa joie en lui, en faisant reposer son Esprit sur lui, c’est chacun de nous que le Père oint de son Esprit Saint et sur lequel il prononce : « Tu es mon bien-aimé, en toi, je trouve ma joie ». Amen.