Parents modèles

Homélie de la Sainte Famille

« Les parents de Jésus l’amenèrent à Jérusalem pour le présenter au Seigneur »

Ne nous y trompons pas, le verbe « présenter » sonne trop doux pour ce qu’il recouvre ici. Ce que font Marie et Joseph en venant au Temple de Jérusalem avec leur fils premier-né est un sacrifice, ils viennent offrir leur enfant. Le sacrifice prescrit par la loi du Seigneur joue le rôle du bélier pris dans un buisson sur le Mont Moriah : les deux tourterelles tiennent pour le Christ la place qu’a tenue le bélier pour Isaac. Jésus a quarante jours et voici qu’il est offert au Seigneur. Dieu n’ayant pas besoin de chair humaine pour s’en repaitre, ce n’est ni Isaac, ni Jésus qu’il réclame mais que le lien des parents à leur enfant soit offert pour être porteur de vie. 

Ici se joue la relation de Jésus à Joseph et à Marie, la manière dont l’amour vécu de son père et sa mère va lui permettre de devenir lui-même. La question qui est posée aux parents est toujours : préfères-tu ton enfant à ton lien à cet enfant ? Par deux fois au moins, et chaque fois au Temple, Marie et Joseph se trouvent confrontés à cette question : au jour de la Présentation et lorsque Jésus a douze ans. La première fois, ils présentent leur fils, la seconde, c’est lui qui s’éclipse. Les deux fois, ils sont appelés à reconnaître que leur enfant leur échappe, qu’il leur est confié comme leur sans être à eux.

Nos liens familiaux sont marqués de possessifs. « Mon fils », « ma mère », « ma sœur », « mon neveu »… Ces possessifs sont à double tranchant. Ils peuvent être l’épée qui tue celui qui se voit ainsi nommé en l’étouffant par l’appropriation ou bien au contraire l’épée qui se retourne contre celui qui a accepté de prononcer le possessif en choisissant d’être dépossédé. Celui-là choisit de ne revendiquer sur l’autre aucun droit et de le voir jaillir de soi sans rien en retenir. Cette question du possessif se pose dans beaucoup de relations familiales mais d’une manière plus décisive dans les relations d’enfantement et d’engendrement. Si Marie a vu un glaive lui transpercer l’âme c’est qu’elle fut mère, qu’elle a dit « mon fils », qu’elle a reçu ce fils comme sien, qu’il est sorti d’elle et qu’elle a choisi de le voir suivre son appel.

Il est des moments cruciaux d’une vie où se teste cette décision : rupture du cordon, première nuit hors de la maison, premier jour d’école, premier amour, départ du foyer, naissance du premier enfant de la génération suivante… Il appartient aux parents de savoir à ces moments décider intérieurement et agir de manière à préférer la vie de leur enfant et son appel à leur attente, à leur désir, à toute forme de possession. 

Ces moments cruciaux dévoilent l’amour des parents pour leur enfant et révèlent ses manques ; ils sont des instants de vérité mais aussi des heures qui donnent à construire un amour plus vrai. Ils surgissent comme des points saillants mais ne sont pas les seuls moments où s’exprime l’amour offert des parents, ils apparaissent en effet sur le long cours de la relation éducative, c’est ce quotidien qui fait sa vie. Ce n’est donc pas simplement dans ces passages décisifs que les parents sont appelés à offrir leur enfant, leur vocation parentale est de garder toujours les bras ouverts, accueillants à leur enfant et l’offrant à son existence propre. Vécu ainsi, ce lien est vivant, il soutient la croissance, l’encourage et la laisse déborder cet amour même. La personne se construit alors de cette vie du lien qui l’enracine dans son origine tout en l’offrant à ce qu’elle devient.

Ainsi comprise, la présentation que Marie et Joseph font de Jésus au Temple est révélatrice de la manière dont ils réalisent leur vocation de parents et c’est ainsi qu’ils sont les modèles de tous parents chrétiens. Amen.