Il vient

Homélie du 2e dimanche de l’Avent

« Voici venir »

Jésus vient. Il est le juge venant établir la justice, le médecin venant prendre soin des souffrants, l’aimé venant à la rencontre de ses bien-aimés. Il vient. 

Imaginons un innocent calomnié, une personne qui n’a pas les moyens de se défendre, tellement suspectée que toute parole sortant de sa bouche ne fait que la condamner davantage ; un jeune injustement accusé d’un méfait qu’il n’a pas commis ; des parents indûment soupçonnés d’avoir maltraité leur fille ; une victime inculpée par son tortionnaire et qui n’a pas les moyens de se défendre ; Suzanne accusée par deux vieillards lubriques du péché même qu’ils voulaient commettre sur elle (Dn 13). Imaginons une situation injuste dans laquelle nous serions enfermé comme dans une nasse et où toute tentative de nous débattre ne ferait que nous nuire encore davantage. Et voici qu’on annonce au jeune accusé, aux parents innocents, à la victime soupçonnée, à Suzanne, que vient un témoin irréfutable, quelqu’un qui va pouvoir dénoncer le mensonge comme Daniel dénonça les deux vieillards. L’innocent n’est pas encore rétabli mais il sait qu’il va l’être et il espère celui-là qui arrive et le sortira du guêpier. Il l’attend comme son salut, il l’attend comme la parole de justice et de vérité. Encore emprisonné, déjà il se sait innocenté et libre.

Imaginons ensuite un enfant fiévreux qui pleure dans la nuit, un alpiniste qui s’est cassé la jambe sur les pentes d’une montagne inaccessible, un bateau en détresse loin de toute côte, Saint-Exupéry au centre du désert avec si peu d’eau et ne sachant où aller, un homme attaqué par des bandits, dépouillé, roué de coup et laissé au bord de la route à moitié mort. Et voici : l’enfant voit un rai de lumière sous sa porte, c’est sa mère qui s’est levée ; l’alpiniste distingue au loin le bruit de l’hélicoptère qui sera son salut ; le navigateur voit sur l’horizon l’ombre d’un bâtiment qui vient vers lui ; Saint-Exupéry aperçoit sur la dune la silhouette d’un bédouin qui commence à tourner la tête, bientôt le remarquera et marchera vers lui ; l’homme languissant sur le bord du chemin croit entendre le pas d’un Samaritain. Blessés, assoiffés, isolés, déjà comme morts, le salut vient à eux alors qu’ils n’osaient plus l’espérer. Cette silhouette, ce bruit au loin, ce rien qui vient vers le souffrant change le monde. Le salut n’est pas encore là mais c’est comme s’il était déjà donné, l’espérance est rendue à ceux qui n’en avaient plus. 

Imaginons enfin un petit au soir de son premier jour d’école, quelqu’un qui n’a pas revu son ami intime depuis longtemps parce que les circonstances l’en empêchaient, une épouse dont l’époux est parti en mission lointaine. La cloche a sonné, les amis vont se retrouver, l’époux annonce son retour. C’est le sourire de la mère au moment où elle passe la porte de la maternelle ; c’est la démarche de l’ami qui se dévoile au coin de la rue ; c’est la voix de l’époux saluant les voisins que l’on entend dans les escaliers. Le bien-aimé vient, on perçoit déjà les signes de sa présence qui se fait plus proche. La joie n’a pas attendu qu’il soit là, que l’on puisse se prendre dans les bras, elle a précédé son heure, elle a déjà été donnée dans l’approche de l’aimé qui vient.

Le Christ vient à nous et déjà sa justice et sa vérité nous sont assurées ; et déjà, bien qu’encore souffrants, nous sommes sauvés ; Jean-Baptiste nous annonce sa venue, Dieu a tourné son regard vers nous, nous sommes aimés ! Nous entendons le son de sa voix, nous percevons son regard posé sur nous, il est tout près, bientôt il sera là. Amen.  

« Et voici que, sans hâte, il a amorcé un quart de tour. À la seconde même où il se présentera de face, tout sera accompli. À la seconde même où il regardera vers nous, il aura déjà effacé en nous la soif, la mort et les mirages. Il a amorcé un quart de tour qui, déjà, change le monde. Par un mouvement de son seul buste, par la promenade de son seul regard, il crée la vie, et il me paraît semblable à un dieu… »

Antoine de Saint-Éxupéry, Terre des hommes