
Homélie de la Toussaint
« Ceux-là viennent de la grande épreuve »
Nous voilà hors de la maison. Alors que déjà nous apercevions ces semaines sans messe qui se profilaient, dans l’asile même de notre foi, sous la voûte d’une église, un assassin est venu chercher des chrétiens pour leur prendre violemment leur vie. Jeudi matin, la barbarie semble avoir envahi le ciel. L’hiver s’approche et tout abri nous est arraché, nous sommes jetés dehors dans le froid, dans la nuit et, alors même que nous sommes privés de nos soutiens habituels, notre témoignage est plus que jamais réclamé : témoignage de charité pour les plus pauvres et les fragiles, témoignage de foi dans le Christ devant le chaos des opinions contraires et jusqu’au martyre, témoignage d’espérance par la prière dans la solitude du confinement ou l’éducation des plus jeunes, etc. Chacun de nous est appelé sur un front particulier en ces heures où le monde plonge dans les ténèbres, mais comment ferons-nous pour avoir la force de ce témoignage alors même que nous sommes si fragilisés par les circonstances ?
Nous voici donc dans la nuit, appelés à marcher sur une route dont nous ne voyons guère la trace, ne sachant pas bien comment agir ni que dire dans une situation à la fois tellement inconnue et si inquiétante. Nous ne savons plus de quoi demain sera fait, nous nous demandons si nous allons pouvoir vivre et faire ne serait-ce qu’un pas en avant ; ce n’est pas simplement le monde mais notre cœur même qui est plongé dans les ténèbres. Gardant les yeux vers le sol, nous sommes perdus mais si nous levons les yeux, nous voyons se détacher quelques points lumineux, puis davantage, puis d’innombrables lumières : ce sont les étoiles. Dans notre nuit, c’est la foule des saints qui nous ont précédés. Des boules de gaz qui brûlent à des millions de kilomètres mais qui, vues d’ici, sont espérance dans le noir. Splendeur d’une nuit claire où nous les contemplons, où les ténèbres ne se sont apparemment pas éclaircies mais où ces points lumineux sur la voûte céleste ont comme dilaté notre âme. Ce n’est rien que de la matière et pourtant c’est bien plus que cela. Dans la nuit de notre vie, nous levons les yeux vers les saints. Faits de chair et d’os, chacun petit être de rien, plein de doutes, ce sont des vies tissées de ces heures où l’on ne sait plus vers où marcher, de ces jours de peine où l’on se demande « à quoi bon ? », si petits devant la tâche à accomplir. Certains parmi eux n’avaient pas prévu d’être saints, la sainteté s’est présentée à eux comme par surprise : c’est Mère Teresa qui, à la quarantaine, voit son existence bouleversée par un appel de charité qui l’entraîne comme la tempête emporte un navire, ce sont les martyrs de la Révolution qui n’ont pu plier devant un état qui leur demandait de soumettre Dieu aux lois de la République, ce sont les martyrs de jeudi matin à Nice qui étaient simplement venus à leur cathédrale comme des enfants venant dans la maison familiale. D’autres semblent avoir lutté toute leur vie pour trouver le Christ et lui rester fidèles sans même se rendre compte qu’ils étaient tout près de lui : c’est le curé d’Ars persuadé d’être la perte de ceux qui l’approchaient, c’est Thérèse de Lisieux dans la nuit de la foi, c’est Vincent de Paul souffrant de ne pas faire davantage pour les pauvres, c’est François-Xavier, le bras douloureux d’avoir trop baptisé, criant par écrit aux prêtres de Paris de venir lui prêter main forte. S’ils peuvent nous être lumière, c’est qu’un feu les brûlait de l’intérieur.
Dans notre nuit, cette fête de la Toussaint, c’est l’heure où nous levons les yeux vers les étoiles. Nous ne savons pas plus de quoi demain sera fait, nous ne savons pas comment nous rendrons le témoignage particulier auquel chacun est appelé. Certains voient un peu ce qu’il sera, d’autres parmi nous n’ont même pas idée de ce qui sera réclamé d’eux dans les heures qui viennent, mais aucun de nous ne marche seul, la nuit est habitée de ceux qui ont emprunté la même route nocturne et qui y ont avancé avec le Christ. Alors, voyant derrière nous s’écrouler la maison où nous pensions toujours pouvoir nous abriter, accompagnés de cette foule immense et lumineuse, nous osons faire le premier pas dans la nuit, pour répondre à l’appel du Christ et porter son témoignage à ce monde qui en a soif. Amen.