Homélie du 28e dimanche du temps ordinaire
« Il envoya ses troupes, fit périr les meurtriers »
Justice doit être faite. Parce que nous savons que Dieu est bon, nous nous demandons ce que viennent faire dans la parabole ces images d’un roi qui ne transige pas avec la rébellion et qui jette dehors l’invité qui a gardé le silence. Dieu n’est-il pas miséricorde ? Nous avons alors deux possibilités : soit nous lisons l’Écriture en partant de notre présupposé, soit nous laissons l’Écriture nous enseigner. Soit nous partons de notre vision de la miséricorde et excluons de l’Écriture ce qui vient la déranger, soit nous partons de l’Écriture et acceptons que soit enrichie et transformée notre compréhension de la miséricorde. Ici, nous choisissons d’emblée la seconde option, c’est la parole de Dieu qui est le critère de la vérité, c’est elle qui, lue dans l’Église peut nous enseigner et nous faire avancer dans une compréhension plus juste de la bonté et de la miséricorde divines.
L’appel universel prononcé par le roi de la parabole – Tous ceux que vous trouverez, invitez-les à la noce – n’est pas sans exigence. La question finale – Mon ami, comment es-tu entré ici sans avoir le vêtement de noce ? – en est le témoignage[1]. Elle manifeste la hauteur à laquelle se situe l’appel : le roi n’invite pas simplement tout un chacun au banquet des noces de son fils, il demande aussi à ceux qui répondent à l’invitation de revêtir l’habit adéquat. La miséricorde appelle largement à suivre le chemin de la justice pour entrer dans le Royaume.
La miséricorde divine n’est pas une douce ouate qui viendrait s’étendre sur toute chose, elle est la capacité rendue à l’être humain d’être responsable. Au tribunal, il n’y a que les fous et les enfants qui sont tenus pour irresponsables ; demander à quelqu’un de répondre de ses actes c’est le traiter comme un être digne et capable de se racheter ; le condamner à une juste peine, c’est lui permettre de payer sa dette et, ceci fait, de retrouver une place dans la société en vivant une vie nouvelle.
Il y a des systèmes qui pervertissent cette idée en enfermant le coupable dans son crime – par exemple, celui des passeports de bagnards – mais il y a aussi une vision de la miséricorde qui l’empêche de porter son fruit de rachat en s’interdisant de faire justice. Nous n’avons pas à choisir entre miséricorde et justice : la miséricorde est justice, elle opère en nous la justice. Il y eut ces dernières décennies un triste exemple d’une vision erronée de la miséricorde dans la manière dont on a traité certaines affaires d’abus, en particulier dans notre Église. Croyant qu’il suffisait qu’un pardon soit prononcé pour que le coupable puisse revivre, on a laissé des innocents en danger – c’est le plus grave – mais on a aussi interdit au coupable d’accueillir une véritable rédemption.
Quel parent pardonnant à son enfant lèverait immédiatement toute punition liée à la faute qu’il a commise ? Pères et mères connaissent ce moment où ils ont dit : « je te pardonne et, parce que je te pardonne, parce que je t’aime et veux ton bien, je te demande d’accomplir la punition par laquelle tu seras racheté ».
Nous n’entrerons pas au ciel sans qu’ait été accomplie en nous toute justice. La miséricorde divine n’est pas le court-circuit de la justice, au contraire, elle nous rend dignes, elle nous tient pour libres et responsables et elle nous rend capables de payer notre dette en nous laissant puiser aux richesses de la croix du Christ. Forts de cette grâce, nous pouvons nous tenir devant Dieu, reconnaître humblement notre péché et accomplir la pénitence par laquelle nous recevrons le salut. Ce qui semblait hors de portée est rendu possible, non pas supprimé. Au roi qui nous demande comment nous sommes entrés sans le vêtement de noce, nous nous abandonnons, acceptant qu’il nous revête de ce vêtement, acceptant sa lumière de vérité et recevant en même temps la grâce qui nous donnera de l’accueillir en plénitude. Amen.
[1] Contrairement à ce qu’une lecture trop rapide pourrait faire croire, cette parole n’est pas une condamnation, celle-ci est plutôt la conséquence du silence auquel se range l’invité mal habillé, s’interdisant d’entrer dans la relation avec celui qui peut le revêtir d’un tel vêtement.