Homélie du 24e dimanche du temps ordinaire
« Ne devais-tu pas, à ton tour, avoir pitié de ton compagnon, comme moi-même j’ai eu pitié de toi ? »
Jésus nous montre que le chemin du salut est de faire ce que Dieu fait. Cette parabole est comme un développement de la demande du Notre Père : « Pardonne-nous nos offenses, comme nous pardonnons aussi à ceux qui nous ont offensés ». Pardonner comme Dieu pardonne, ce n’est pas simplement pardonner autant qu’il pardonne, ni pardonner puisqu’il nous a pardonnés, c’est aussi pardonner à sa façon, imitant son geste pour le faire nôtre, regardant l’artisan travailler pour faire une œuvre semblable. Si nous voulons imiter le Seigneur, la première étape est donc de regarder sa manière d’agir.
La première chose que Dieu fait, c’est la vérité. « Un roi voulut régler ses comptes avec ses serviteurs. » Son pardon n’est pas un tapis étendu sur le passé. Le roi fait la vérité, il demande qu’on lui amène les débiteurs, qu’ils se présentent devant lui, qu’une parole puisse être prononcée sur la dette qui a été contractée. Il n’est pas toujours possible ni bon de parler avec ceux qui nous ont fait du mal, mais il est toujours nécessaire que nous regardions ce mal en face, que nous soyons capables de dire la blessure qui nous a été infligée. Le pardon chrétien ne consistera pas à faire semblant qu’elle n’existe pas : pour la guérir, nous la dévoilerons à la lumière de Dieu.
Ensuite, Dieu entre en relation avec le pécheur, il l’écoute et il lui parle. En effet, faisant les comptes, le Seigneur a dû s’apercevoir que la dette contractée était bien trop grande pour être remboursée. Devant ce constat, il semble attendre quelque chose. La supplication du serviteur lui permet d’entrer en relation avec lui. Ce dernier formule une prière impossible, il demande un étalement des paiements quand la réalité de son emprunt – équivalant à une centaine de millions d’euros – le rend à jamais insolvable. Ce que le serviteur demande, ce n’est donc pas tant que sa créance soit étalée que de garder sa liberté, ce à quoi le maître consent et même à plus en lui rendant une liberté non entachée de dette, une liberté à même de retrouver un sens à la vie autre que celui de chercher à rembourser jusqu’à sa mort sans espoir d’y parvenir. Le dialogue du roi et du serviteur est donc étonnant, le roi aurait pu relever l’incohérence de la demande, il ne le fait pas ; il aurait pu couper court plus tôt, sachant ce dû impossible à rembourser, et faire grâce sans rien demander, il ne le fait pas non plus. Il attend qu’une relation soit renouée et, aussi imparfaite qu’elle soit, c’est après avoir écouté la supplication de son serviteur qu’il fait grâce. Pardonner, c’est rendre à l’autre sa liberté, c’est lui permettre de ne pas être tenu par le mal qu’il nous a fait. Il est des manières de pardonner qui peuvent enfermer davantage l’autre dans le mal commis, des façons de dire « je te pardonne » qui semblent ajouter implicitement « tu seras à jamais ainsi ». Si une relation est encore possible, seuls la délicatesse et le sens des situations nous donneront de savoir écouter ou parler, entendre ce que l’autre a à nous dire ou au contraire manifester dans le silence que le pardon est donné comme une confiance vraie en l’autre et le bien qu’il peut accomplir.
Enfin, Dieu laisse le temps faire porter du fruit à sa miséricorde. Le pardon qu’il nous donne n’est pas un décret magique qui opérerait en nous sans délai ce qu’il doit produire, c’est une grâce, une libération. Ne sont libérés que ceux qui, recevant leur liberté nouvelle l’utilisent pour le bien. Nous ressortons de la confession comme des patients en rémission et il faut du temps pour être remis sur pieds et pouvoir agir sans séquelles de notre mal. C’est cette épreuve du temps à laquelle échoue le serviteur de la parabole : il replonge dans l’esclavage duquel il était venu parce qu’il n’a pas laissé le pardon porter son fruit en lui. Le pardon échangé, la relation est renouvelée mais elle est encore fragile à proportion de l’ampleur des dégâts qu’avait produits le mal en elle. Comme un sportif qui a échoué en se blessant dans une épreuve et s’entraîne pour la suivante en ayant hâte de pouvoir, cette fois-ci, y prouver sa valeur, nous pouvons désirer que le temps vienne où il nous sera donné de faire le bien, forts du pardon que nous avons reçu. Nous pouvons le désirer mais nous ne le réaliserons qu’en prenant l’intervalle de temps non simplement comme une attente éprouvant notre patience mais comme la période où grandit notre capacité à agir bien.
« Comme nous pardonnons aussi » : en expérimentant ce pardon reçu de Dieu – en vérité, en relation avec Lui et dans le temps –, nous sommes à notre tour appelés à pardonner : en faisant la vérité sur le mal qui nous a blessés, en écoutant l’autre quand il nous est donné de pouvoir encore être en relation avec lui et enfin, en prenant patience pour que soient guéries et fortifiées avec le temps notre liberté et la sienne et que nous soit donnée la joie d’un amour renouvelé. Amen.