Homélie du 23e dimanche du temps ordinaire
« S’il t’écoute, tu as gagné ton frère. »
Quelle place laissons-nous à l’autre en nous ? Il parle : qu’acceptons-nous de sa parole en nos êtres, en nos âmes ? Les paroles qui nous concernent entrent parfois profondément en nous et d’autres fois, elles glissent sur nous comme la pluie. Comment se fait-il que nous puissions être troublés toute une journée par une parole blessante, une insulte mauvaise et rejeter la parole bienveillante d’un frère ? Écouter, ce n’est pas simplement tendre l’oreille, c’est encore discerner ce que nous laissons nous atteindre et ce que nous laissons à la porte de notre être. Il nous faudrait un cœur serein à l’écoute des insultes inutiles lancées par ceux qui ne nous connaissent pas et pourtant tout ouvert aux mots vrais de ceux qui nous aiment même lorsqu’ils sont douloureux ; comment cela peut-il être donné ?
« Si ton frère a commis un péché contre toi, va lui faire des reproches seul à seul. » Il y a ici deux frères qui essayent d’avancer vers Dieu : l’un parle, l’autre reçoit. Tour à tour, en fonction des circonstances de la vie, nous sommes appelés à être l’un ou l’autre. Et lorsque mon frère vient me voir avec une vraie correction fraternelle, qu’il a sans doute prié à cette intention, que je le sens tremblant mais courageux, plein d’une charité délicate tout autant que d’une vérité nécessaire à mon salut, comment est-ce que je réagis ?
Qui s’est déjà retrouvé dans cette situation d’entendre son frère venant le corriger, a sans doute remarqué toutes les forces qui, à l’intérieur de nous, se rebellent contre cette intervention. Nous sommes pleins d’anticorps qui réagissent instinctivement à une intrusion étrangère. Que sait-il de moi celui qui vient me parler ? Que sait-il de mes combats et de mes luttes ? Croit-il pouvoir corriger cet aspect de ma vie sans mettre en péril l’ensemble ? Suis-je vraiment fautif ? N’est-il pas plutôt en train de m’envahir pour ne pas régler son propre problème intérieur ? Ces réactions ne sont pas mauvaises, elles sont naturelles et salutaires. Il faudrait s’inquiéter de ne pas réagir à la correction fraternelle de notre frère, nous serions alors une plaine stérile et non défendue sur laquelle pourrait passer n’importe quelle parole, celle-ci et la suivante qui dirait le contraire, nous serions sans personnalité et livrés au gré des paroles entendues. Nous sommes une personne et ne peuvent s’ingérer dans notre vie intérieure que ceux que nous choisissons d’y laisser entrer.
Sans renier cette nécessaire protection, le Christ nous appelle à entrer dans l’écoute de notre frère. Il en est certains dont nous allons laisser les paroles nous atteindre. Qui inviterai-je sur mes terres intérieures ? A qui ouvrirai-je tel aspect de ma vie pour qu’il puisse m’y aider ? L’humanité est à ma porte : pour ceux que je croise, il y a le hall d’entrée, ils peuvent y venir et m’y rencontrer quand je sors de moi-même préparé, habillé, maquillé ; d’autres entrent un peu plus avant, je leur découvre d’autres pièces de ma maison ; d’autres enfin, si cela est donné, sont invités plus loin, dans les domaines plus personnels. S’il reste toujours une pièce au cœur de notre âme où Dieu seul règne et où nul ne peut entrer, il y a des pièces plus ou moins intimes où nous laissons les uns et les autres pénétrer en fonction des relations que nous avons avec eux et de ce que le temps a construit entre nous.
Quels sont les frères que nous écoutons ? Que livrons-nous de nous et à qui ? De qui recueillons-nous l’avis ? A qui demandons-nous conseil ? Certes, nous n’écouterons pas les commentaires de celui qui n’a jamais vu que le hall d’entrée sur les fissures qu’il croit apercevoir dans notre chambre et, s’il continue de faire son malotru, nous lui montrerons délicatement la porte avant qu’il ne postillonne partout. Au contraire, tremblant quoique décidé, un jour nous accueillerons l’ami intime, le frère véritable dans notre intérieur ; s’il s’y est montré suffisamment délicat, il y reviendra et nous ouvrirons une à une certaines des portes de notre âme pour accueillir ses paroles sur nous.
Si nous ne faisons jamais cela, nous serons celui qui refuse toujours d’écouter et se retrouve finalement exclu de l’Église : cette exclusion est le renversement de ce qu’il a choisi pour lui-même en fermant son château intérieur à toute incursion même la plus bienveillante. Au contraire, à ceux qui, à force de discernement et de patience, communiquent leur intérieur, à ceux qui se livrent petit à petit en accueillant chez eux leur frère, en l’accueillant dans l’intimité pour lui présenter la même délicatesse au jour où il se rend chez lui, chacun restant au seuil de la chambre la plus intérieure qui est le mystère de l’autre, à ceux-là, il est donné d’être véritablement réunis au nom de Jésus et de le rencontrer présent au milieu d’eux. Amen.