Homélie du 22e dimanche du temps ordinaire
« Cela ne t’arrivera pas »
Notre prière sera convertie de passer du « cela ne t’arrivera pas » à « qu’il prenne sa croix et qu’il me suive », de la pensée de Pierre au choix du Christ. Il y a là une décision fondamentale de l’existence : ce sont les parents qui doivent choisir entre l’évitement des épreuves pour leurs enfants et leur croissance en force, ce sont les amants balancés entre leur désir de fusion par peur de se perdre et le risque de la distance qui pourra rendre leur amour plus fécond, c’est le confort d’une existence sans saveur ou l’incertitude de l’aventure qui pourra nous donner la joie.
Il est des heures où l’âme n’est pas prête pour l’épreuve, on ne jette pas volontairement un enfant de trois ans dans la rue pour qu’il se fortifie ; mais il est aussi un âge où il n’est plus temps de rester à la maison comme un enfant de trois ans, vient un moment où retarder l’épreuve, c’est refuser de vivre. À l’heure du départ, à l’heure où celui qui veut vivre passe la porte, il est toujours l’une ou l’autre âme bien intentionnée pour lui dire : « Dieu t’en garde, cela ne t’arrivera pas ! » Alors, celui qui se sent appelé viscéralement à l’épreuve de l’aventure au risque de la passion et de la mort, peut retourner sous le toit protecteur où, effectivement, rien ne lui arrivera, même pas la vie. Il peut aussi, comme Jésus, montrer à la gentillesse tentatrice un visage ferme et répondre : « tu es pour moi une occasion de chute », tu crois me sauver par ta protection, alors même que tu es en train de me perdre, à t’écouter, je passerai à côté de ma vie.
En ce qui concerne Jésus, ce fut Pierre se dressant sur sa route ; en ce qui nous concerne, c’est parfois l’un ou l’autre qui croit être notre ami, que peut-être nous croyons notre ami et qui nous pousse à éviter ce qui pourtant est notre appel le plus profond. Cependant, contrairement à Jésus, cette pseudo-bienveillance ne se trouve pas simplement en ceux qui nous entourent, elle a des complicités en notre cœur. Si nous sommes si enclins à nous entourer de ceux qui nous évitent la souffrance féconde, l’épreuve essentielle, la vérité nécessaire mais douloureuse ; si, contrairement à Jésus, nous avons tant de mal à leur répondre fermement, c’est qu’en nous se trouve une ambigüité, nous avons de la peine à hiérarchiser correctement notre aversion naturelle pour la souffrance et notre désir de la sainteté. Or, si nous voulons être saints, si nous voulons vivre dans la lumière, il nous faut à certains moments passer par le feu et accepter la souffrance purificatrice pour un but plus grand.
Cette aversion se retrouve jusque dans notre prière. Celle-ci est parfois tissée de demande de protection. Nous ressemblons alors à des enfants qui passeraient leur temps à supplier leurs parents de leur épargner la peine de l’étude, la faim qui précède le repas, les accrocs et les blessures de la vie. Quel père, quelle mère dirait alors à son enfant de renoncer à l’école, de manger ce qu’il veut à tout heure et de ne surtout pas se risquer à courir dans les broussailles ou à rencontrer de nouveaux camarades ? Ne soyons donc pas surpris que Dieu ne s’étende pas sur nous comme un parapluie protecteur contre toute pluie, le Seigneur ne nous veut pas indemnes et languides, il nous veut saints et vivants. Comme Pierre, nous voudrions que le Christ ne connaisse pas la passion parce que nous voudrions ne pas la connaître, nous ne voudrions pas la connaître parce que nous avons peine à en discerner la nécessité pour notre vie. En regardant la manière dont Jésus s’est saisi de sa croix, la manière dont il a choisi absolument de vivre, entrons dans cette même vie véritable, au risque de l’épreuve. Toutes les fois où nous nous surprenons à prier : « Que cela ne m’arrive pas », demandons au Seigneur de convertir notre prière pour dire : « Que tout ce qui peut me donner de prendre ma croix et de te suivre m’arrive, que rien de mon appel ne me soit épargné, pour que rien de la vie véritable ne m’échappe et pour que rayonne pleinement ta gloire sur moi. » Amen.