Juste Joseph

Homélie du 4e dimanche de l’Avent

« Joseph, son époux, qui était un homme juste. »

Comment Joseph est-il juste ? La définition traditionnelle est : la vertu de justice consiste à rendre à chacun ce qui lui est dû. Ainsi : est juste le patron qui paie son salarié en vertu du travail qu’il a accompli, est juste l’enfant qui remercie celui qui lui donne sa nourriture, est juste le juge qui condamne le coupable à une peine proportionnée à son crime et, lorsque nous réclamons justice, nous demandons ce que nous estimons nous être dû. 

La justice de Joseph va plus loin, on peut même dire qu’elle transfigure l’idée de justice. Joseph ne réclame pas ce qui lui est dû, au contraire, il n’accepte que ce qui lui est donné. Il réalise déjà l’idéal que son fils énoncera ainsi quelques années plus tard : « si quelqu’un veut te poursuivre en justice et prendre ta tunique, laisse-lui encore ton manteau ». 

En effet, à l’heure où il découvre que Marie est enceinte, Joseph décide de disparaître. On peut disserter sur ce qu’il avait compris de cette grossesse mais l’évangile ne nous dit pas ce qu’il en est : peut-être imaginait-il que Marie était enceinte d’un autre homme, peut-être se doutait-il qu’il y avait là quelque chose de divin. Cependant, puisque l’on nous dit que Joseph était un homme juste, prenons cela au sérieux. Dans sa justice, Joseph n’a pas cherché à en savoir davantage, il a voulu se retirer sans blesser Marie, considérant que ce qui arrivait à sa fiancée n’était pas pour lui, qu’il devait s’éclipser pour la laisser libre. S’il se refuse à la livrer à l’opprobre, s’il décide de sortir de sa vie, c’est pour qu’elle puisse vivre son aventure propre, et il ne souhaite pas prendre dans cette aventure une place à laquelle on ne l’a pas invité. En s’imposant à elle ou en la dénonçant, il aurait définitivement marqué la vie de Marie. Il aurait pu le faire, c’eût été juste d’une certaine façon, étant donné qu’elle lui était fiancée ; mais il s’interdit de la réclamer comme un dû, il refuse de se l’approprier.

La justice de Joseph ne fonctionne pas sur ce qui est dû, elle est dans la logique du don et de l’accueil. Elle n’est plus de rendre à chacun ce qui lui est dû mais de choisir d’accueillir ce qui est donné sans rien réclamer. C’est cette même justice à laquelle se reconnaît Joseph dans la deuxième partie du passage. Un ange vient qui, après lui avoir confirmé l’origine divine de l’enfant, l’appelle à avoir une place dans la vie de celui-ci. Tu lui donneras le nom de Jésus. Sans délibération supplémentaire, Joseph prend chez lui son épouse. Il voulait disparaître de la vie de Marie, il la choisit ici puisqu’elle lui a été rendue. Joseph est le type même de la justice dans son respect absolu de la personne de Marie, de son existence propre, de sa liberté, de l’appel qui n’appartient qu’à elle et sur lequel il refuse de prendre la main ; il est le type même de la justice dans son accueil inconditionnel de l’appel de Dieu dans sa vie, dans l’obéissance – qu’on imagine joyeuse – à cet appel. Dans les heures difficiles, il s’est refusé à s’accrocher à sa fiancée, à écraser Marie pour faire valoir ce qui était son droit ; c’est pourquoi il put la recevoir à l’heure que Dieu avait choisie. Le juste Joseph laisse aux mains des autres ce qui est leur bien, espère de Dieu l’heure de la joie et répond à son appel au jour où il se fait entendre. Amen.