Homélie du Christ-Roi
« Pour nous, c’est juste, après ce que nous avons fait »
Il n’y eut qu’un homme libre : le Christ. Il ne fut jamais plus libre que sur la Croix. Cloué, écartelé, nu et souffrant, il est le souverain juste et clément qui prononce : « Aujourd’hui, avec moi, tu seras dans le paradis ». C’est une décision noble, royale et libre en faveur de celui des deux malfaiteurs qui a reconnu la justice de la sentence de mort qui pèse sur lui.
« Vous serez comme des dieux » disait le serpent, le péché avait promis à l’homme la liberté divine, mais il n’avait fait plonger l’homme que dans un règne de mensonge, de prétexte, d’accusation. « C’est la femme que tu m’as donnée » répond l’homme pécheur à Dieu qui lui demande : « Aurais-tu mangé du fruit de l’arbre ? » En péchant, l’homme est devenu incapable de porter la responsabilité de ses actes, incapable de reconnaître son péché autant que de rendre grâce à Dieu du bien qu’il fait. Au contraire, le péché nous a placés dans la tentation permanente d’accuser l’autre de nos échecs et de nous attribuer nos succès.
Vient le Christ, l’Agneau de Dieu qui porte le péché du monde. Refusant d’accabler ses tortionnaires – « Père, pardonne-leur : ils ne savent pas ce qu’ils font » – tout autant que de s’attribuer la gloire des miracles accomplis par ses mains – « Le fils ne peut rien faire de lui-même, il fait seulement ce qu’il voit faire par le Père », il est l’homme libre et responsable, le roi que nous attendions. En effet, nous n’attendons pas de nos chefs qu’ils agissent parfaitement mais plutôt qu’ils portent avec nous la responsabilité, que, face au monde, ils reconnaissent tout devoir à leurs équipes dans le succès et prennent sur eux toute responsabilité dans l’échec. La majesté est là : Jésus dépouillé de ses vêtements fait sienne la honte de l’homme et de la femme se rendant compte de leur nudité après avoir saisi et mordu le fruit interdit. Innocent se faisant coupable avec nous, il est le roi qui nous fait entrer dans sa grâce. S’unissant à notre misère, il nous rend héritiers de sa richesse.
Le royaume est ouvert, la royauté du Christ nous est offerte. L’accueille le malfaiteur qui se tourne vers lui en acceptant sa responsabilité : « pour nous, c’est juste ». Le drame est là : la miséricorde ne peut entrer qu’en celui qui lui ouvre la porte. Adam, incapable de recevoir le pardon parce qu’il rejetait toute responsabilité sur sa femme et sur Dieu – la femme que tu m’as donnée – était fermé sur lui-même. Dieu peut bien faire pleuvoir un déluge de miséricorde sur le pécheur impénitent, il le noiera sans qu’une seule goutte n’entre en son cœur pourtant assoiffé. L’ouverture de notre cœur, ce sont les plaies que le Christ a reçues pour nous. Devant lui, notre liberté est convoquée à cette alternative des deux malfaiteurs : lui demander un salut qui ne nous coûte rien – « Sauve-toi toi-même et nous aussi » – ou entrer dans sa miséricorde par la porte de la justice en laissant faire sur nous la vérité – « pour nous, c’est juste : après ce que nous avons fait, nous avons ce que nous méritons » pour qu’elle nous ouvre au pardon – « Jésus, souviens-toi de moi quand tu viendras dans ton Royaume ».
Chaque confession est cet instant où nous choisissons avec le malfaiteur repenti de recevoir cette lumière sur notre vie pour que puisse jaillir en nous la miséricorde. Nous entrerons au ciel par la porte de la Vérité, nous recevrons sa miséricorde par la voie de la justice. Au dernier jour, il s’agira d’être enfin libre et responsable, nous le serons avec lui ou nous ne le serons pas. Ce jour-là, saurons-nous soutenir son regard lumineux sans nous enfuir dans les ténèbres ? Il nous est donné de nous y préparer car, cet instant final, nous le vivons en espérance toutes les fois que nous venons avouer notre péché. C’est là que nous sommes le plus digne. Chacune de ces confessions nous prépare à ce jour où son manteau royal viendra couvrir de sa majesté tous ceux qui auront reconnu devant lui leur nudité. Amen.
« Être homme c’est précisément être responsable. C’est connaître la honte en face d’une misère qui ne semblait pas dépendre de soi. C’est être fier d’une victoire que les camarades ont remportée. C’est sentir, en posant sa pierre, que l’on contribue à bâtir le monde. »
Antoine de Saint-Exupéry, Terre des hommes