
Homélie du 28e dimanche du temps ordinaire
« L’un d’eux, voyant qu’il était guéri, revint sur ses pas, en glorifiant Dieu à pleine voix. »
La vie que nous avons reçue au premier jour est une vie de bénédiction. Juste après la création de l’homme et de la femme, la Genèse ajoute : Dieu les bénit. L’homme est appelé à entrer dans ce mouvement libre et gratuit de bénédiction. Vivre c’est être béni et bénir, recevoir la vie et la donner à son tour, accueillir la bénédiction de Dieu pour lui rendre grâce de toute vie ; c’est la joie qu’il y a à se savoir en vie gratuitement et à louer tout aussi gratuitement celui qui donne vie. Pas de peine ici, pas d’inquiétude, pas de peur de perdre notre existence parce que nous la confierions à un autre. Dieu veut notre vie libre et gratuite. Au premier temps de la création, nous le bénissions pour la vie donnée, nous l’admirions dans la beauté de son amour. Le sourire d’un enfant nous le rappelle qui n’est pas encore marqué par l’angoisse de se perdre en partageant sa joie de vivre, qui ne s’inquiète pas de donner prise à l’autre, qui lui-même ne cherche pas à avoir de maîtrise mais qui accueille et reçoit sa vie tout en la déposant, abandonnée allègrement entre les mains de ceux qui l’aiment. Avant le mal, avant le péché, il en allait ainsi simplement, joyeusement, naturellement. Nous vivions.
La lèpre du mal est venue atrophier la vie en nous comme elle dégrade le corps des dix qui s’approchent de Jésus. Nous ne sommes plus capables d’entrer si simplement dans la louange et la bénédiction à laquelle nous sommes appelés. Cette joie se refuse à nous. Depuis trop longtemps, nos vies ont été déracinées de la vie divine. Nous ne la recevons plus simplement, elle nous coûte, la prière nous pèse, penser à Dieu nous est pénible, nous ne savons même plus très bien ce qu’est accueillir sa bénédiction. Nous ne sommes pas contre sur le principe mais nous ne voyons pas en quel lieu intérieur de notre être nous l’accueillerions, la route en est perdue, la porte en est verrouillée et la clef perdue. Parce que nos âmes sont lépreuses, elles ne peuvent pas non plus rendre grâce au Seigneur, elles sont éloignées de leur bonheur car elles ne savent pas louer et bénir simplement le créateur. Nous étions faits pour danser sous le soleil de Dieu et, perclus par la maladie, nous ne savons plus entrer dans cette simple joie. Nous regardons ceux qui en ont la simplicité, nous écoutons saint François d’Assise qui bénit le Seigneur pour la création tout entière et pour chacune de ses parties : Loué sois-tu, mon Seigneur, pour frère Soleil, sœur Lune, frère Vent, sœur Eau… Nous contemplons la joie des enfants et de ceux qui ont une âme d’enfant et nous voudrions bien trouver comme eux la voie de la libre louange. Alors, un Samaritain s’approche, guéri, qui glorifie Dieu à pleine voix.
Jésus a guéri en lui bien plus que la lèpre. Il l’a rendu à la vie, la vraie, une vie de bénédiction et de louange, une vie de chant et de danse dans la lumière divine. Il y a un mystère dans cet évangile : le Seigneur étend sa bonté largement, dix lépreux sont guéris, un seul reçoit pourtant la pleine guérison, celle qui va jusqu’au fond de l’être pour le recréer. Tous, nous avons reçu les bontés de Dieu, il nous comble de ses bienfaits. Le Seigneur est généreux et abondant en bienfaits. Tous nous avons été guéris au jour de notre baptême et renouvelés à chacune de nos confessions. Cette guérison, qu’elle porte son fruit plein et entier en nous. Ce soir, si nous avons un miracle à demander au Seigneur, c’est qu’il nous donne d’être enfin pleinement, totalement guéris. Qu’il ne guérisse pas uniquement nos facultés extérieures, qu’il ne nous rende pas simplement capables de faire le bien, qu’il ne se contente pas de nous donner l’objet de notre supplication, mais qu’il change cette prière même. Si nous ne devenons pas des êtres de bénédiction, nous n’aurons rien reçu, rien ne pourra nous combler ; si Dieu ne restaure pas en nous le mouvement même de la vie, cette vie pourrait bien s’écouler en abondance sur nous, elle ne serait rien de plus que de l’eau sur les plumes d’un canard. En revanche, si nous devenons capables d’accueillir la bénédiction que Dieu fait descendre sur nous, rien ne nous manquera, jamais. Ce soir, demandons-lui cette guérison véritable : qu’il restaure en nous l’âme même, qu’il nous donne ce cœur battant par lequel nous pourrons accueillir en plénitude son amour s’étendant sur nous et lui en rendre grâce dans la danse joyeuse d’une vie enflammée. Et enfin, une fois nos cœurs ainsi restaurés, qu’il fasse descendre sur eux sa bénédiction, notre joie : Relève-toi et va ! Amen.
« L’homme est créé pour louer, respecter et servir Dieu notre Seigneur et par là sauver son âme, et les autres choses sur la face de la terre sont créées pour l’homme, et pour l’aider dans la poursuite de la fin pour laquelle il est créé. » Saint Ignace de Loyola, Exercices spirituels, Principe et fondement.