
Homélie du vingt-quatrième dimanche du temps ordinaire
« Il rassembla tout ce qu’il avait et partit pour un pays lointain »
Le Fils de Dieu a pris le chemin des pécheurs. Après nous avoir parlé de la brebis recherchée par le berger et de la drachme perdue, Jésus dit une parabole où la trajectoire du pécheur et la sienne propre se mélangent à tel point qu’on ne les distingue plus. Nous avons coutume de lire cette parabole en nous voyant du côté du fils cadet et du fils aîné et en comprenant alors que le père est l’image de Dieu qui nous laisse libre de partir et nous accueille lorsque nous revenons vers lui. Le problème c’est que nous n’avons pas en nous les moyens de revenir vers lui par nous-même, c’est pourquoi Dieu, en son Fils, se cache aussi dans le fils prodigue et c’est en le contemplant que nous trouverons le chemin et la force du retour. En effet, ce jeune homme qui « rassemble tout ce qu’il a et part pour un pays lointain », c’est le Verbe de Dieu, rassemblant tout ce qu’il a, tout ce qu’il est et partant pour le monde créé, la terre des hommes, loin de Dieu, loin de son origine qui est le Père.
Contemplons-le dans cet éloignement. Nous savons que la route qui conduit au mal est douloureuse et peineuse ; s’il nous est arrivé d’y être entraîné, nous avons appris combien elle blesse durement notre âme ; si nous y avons persévéré, cela ne fut pas sans en souffrir, sentant en notre être profond que nous ne nous correspondions plus. « Il aurait bien voulu se remplir le ventre avec les gousses que mangeaient les porcs ». Égaré dans le domaine du péché, nous avons eu le cœur affamé, prêt à nous ravitailler à n’importe quel amour et ne recevant même plus cela. Si nos éloignements de Dieu nous ont tant déchiré, combien plus ce départ a dû déchirer le Fils de Dieu, le Verbe, lorsqu’il s’est fait homme en Jésus. Sur cette terre, il a vécu dans la famine, ne recevant pas l’amour dont son cœur avait soif, l’amour dont il avait été comblé depuis toute éternité auprès du Père. Jésus n’est pas venu parmi nous en se pinçant le nez, il a pris notre réalité à pleines mains, il a humé l’odeur de notre mal, il a souffert notre misère. Il s’est retrouvé loin de Dieu, comme le pire des pécheurs.
Contemplons-le ensuite dans son épuisement. Dans notre expérience, lorsque nous arrivons plein de joie et de bonté dans un groupe qui en manque, il faut peu de temps avant que nous ne nous retrouvions épuisé, incapable d’aimer et ressentant violemment la stérilité de tous nos efforts. Lorsque nous essayons d’aimer sans retour, notre cœur est vite vidé de ses propres réserves. En venant sur la terre, Jésus ne venait pas sans ressources, il portait en lui tout l’amour que le Père lui avait légué, cette part d’héritage plein de laquelle il était venu chez nous. Tout cela, il ne l’a pas économisé, il l’a dilapidé sans calculer, il nous a aimés, a reçu si peu en retour, et son amour a été comme des gouttes de sang qui tombaient à terre apparemment en pure perte. Il s’est vidé de lui-même pour nous.
Contemplons-le enfin dans son retour vers le Père. À la fin, il ne lui restait plus qu’une chose au fond du cœur : son désir de l’amour du Père. Je ne suis plus digne d’être appelé ton Fils, traite-moi comme l’un de tes ouvriers est à mettre en parallèle avec les cris de Jésus sur la Croix : Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné ? – Père, entre tes mains, je remets mon esprit. La distance entre le Fils et le Père atteignait là son maximum. Jésus, tout assoiffé de Dieu, se trouve loin du Père et vidé de tout amour ; alors cette soif inassouvie devient en lui une douleur pure, alors il connaît existentiellement notre souffrance de pécheurs, assoiffés de l’amour de Dieu et incapables de le recevoir, rejetant jusqu’aux remèdes qui feraient notre salut. En se remettant tout entier entre les mains du Père, en renonçant à tout pour s’abandonner à sa volonté, il se laisse alors retrouver, revêtir, fêter et ressusciter par le Père. Ayant fait le trajet même du pécheur, Jésus nous prend par la main là où nous sommes et nous souffle à l’oreille les seuls mots que nous ayons à prononcer pour être sauvé et retrouver la dignité de notre filiation : « Père, j’ai péché contre le ciel et envers toi. Je ne suis plus digne d’être appelé ton fils. ». Amen.