
Homélie de la Fête-Dieu
« Le jour où paraît ta puissance, tu es prince éblouissant de sainteté :
Comme la rosée qui naît de l’aurore, je t’ai engendré »
C’est l’aurore. L’hostie qui s’élève, c’est le soleil de l’aube. À la messe, nous sommes à la jointure du ciel et de la terre, entre la nuit et le jour, comme à l’heure de l’aurore. Dans le matin naissant, notre regard est à la fois illuminé et ébloui. Le Seigneur qui paraît peut être celui qui nous donne de voir ou celui qui nous éblouit. Avec délicatesse, il nous a éclairé de discrets rayons. De sa venue, nous avons recueilli quelques lueurs dans nos ténèbres : un moment de prière fervente, une illumination, la certitude de son amour, toutes choses qui concourent à notre foi en sa présence. Cette foi nous fait croire que ces quelques lueurs annoncent une véritable aurore, qu’elles n’auront pas été de simples chimères de notre nuit mais le prélude réel d’un jour éternel.
En effet, par l’eucharistie, les chrétiens entrent dans ce jour du ciel. Il s’agit d’y habituer nos yeux, si nous voulons pouvoir alors accueillir la lumière de Dieu ; car, si le Seigneur se cache dans le Saint Sacrement, c’est pour que nous le scrutions. La ville ne nous permet guère cette expérience que nous ferons peut-être cet été à la faveur d’une nuit sans lune dans un endroit isolé : ce moment où, dans la nuit, notre œil ne voit que du noir alors que notre pupille se dilate pour recueillir le peu de lumière qu’il y a et nous donner de distinguer ce qui nous entoure. Alors, bien que les choses soient bien là autour de nous, nous ne voyons rien. Pour que nous puissions en prendre conscience, il n’y a qu’une seule chose à faire : scruter la nuit en attendant que nos yeux s’y fassent et puissent discerner ce qui nous entoure.
Le Seigneur ne se donne pas à connaître dans un éblouissement qui pourrait nous brûler le cœur et nous rendre à jamais incapable de le voir, il se montre petit à petit comme le soleil se lève, attendant au rythme de notre âme. Il n’est qu’une chose à faire pour pouvoir l’accueillir : le scruter dans l’obscurité de la foi. Dans cette hostie, il est présent et ses rayons nous illuminent, mais c’est après bien des génuflexions et des actes de foi en sa présence, après bien des heures passées devant le tabernacle ou en adoration, que nous commençons à percevoir les rayons si délicats de sa lumière.
Avec patience, Jésus nous prépare ainsi au jour où nous le contemplerons face à face. La messe est la suture du ciel et de la terre. Nous nous y ennuyons parfois ou souvent, signe que nous y sommes comme en terre étrangère, exilé de notre existence habituelle qui nous semble plus confortable. Nous mesurons alors que nous ne sommes pas encore prêt à accueillir le jour de Dieu, à recevoir sa lumière pour l’éternité. En repensant aux jours anciens ou récents où – ne serait-ce que l’espace d’un instant – le ciel s’est ouvert pour nous, où nous avons ressenti combien le Seigneur pouvait nous combler, combien tout était là et combien nous désirions rester en sa présence, demandons que cela ne reste pas éphémère mais que le Seigneur fasse de cette minute notre éternité. Disons-lui que nous sommes prêt pour cela à être aussi patient que lui, à le regarder sans rien voir, à le contempler dans le noir sans rien percevoir pour qu’il puisse enfin faire lever sur nous l’aurore de l’éternité. Amen.