La vérité tout entière

Homélie de la Pentecôte

« Tous nous les entendons dans nos langues parler des merveilles de Dieu »

Connaître est un miracle, car il y a une distance infinie entre la mémorisation des mots et leur compréhension, une distance que ne franchit ni un animal ni une machine, une distance analogue à celle de la créature au Créateur. En effet, connaître ce n’est pas simplement pouvoir retransmettre, c’est accueillir, comme à l’intérieur de soi, la réalité dont on parle. Cette connaissance passe par un long et persévérant travail tout autant que par de soudaines illuminations qui nous font traverser des fossés apparemment infranchissables. Le miracle de la Pentecôte est de cet ordre. Voici trois ans que les apôtres suivent Jésus sans trop comprendre ce qu’il leur dit tout en pressentant qu’il est la Vérité et, au jour où ils sont emplis de l’Esprit Saint, tout à coup, ces paroles entendues, retenues, répétées prennent enfin un sens qui les emplit de joie et de lumière.

Helen Keller, sourde et aveugle, raconte dans son autobiographie la longue route qui a conduit son esprit à s’ouvrir enfin à la connaissance. Un mois durant, sa tutrice lui a fait répéter en langage des signes des mots auxquels elle ne comprenait rien – « Je ne comprenais même pas que les mots existaient » écrit-elle au sujet de cette période. Et, soudainement, alors que son professeur, après avoir fait de même pour des dizaines de mots, lui épelait le mot « water » dans une main en faisant couler de l’eau sur l’autre main, l’esprit d’Helen s’ouvrit : « Je me tenais sans bouger, toute mon attention concentrée sur le mouvement de ses doigts. Soudainement, quelque chose s’éveilla dans ma conscience, comme un souvenir oublié – la sensation d’une pensée qui revient ; et, je ne sais comment, le mystère du langage me fut révélé. Je comprenais alors que w-a-t-e-r signifiait cette chose mystérieuse et froide qui coulait sur ma main. Le monde vivant réveillait mon âme, lui donnait la lumière, l’espérance, la libérait. »

Quand Jésus annonce à ses apôtres : « l’Esprit Saint vous fera souvenir de tout ce que je vous ai dit », c’est une illumination analogue qu’il annonce. Ailleurs, il dit : « l’Esprit de vérité vous conduira dans la vérité tout entière », ce qui signifie que la mission de l’Esprit Saint n’est pas d’ajouter des paroles aux paroles, des mots aux mots, mais de donner à connaître et à comprendre les mots que la mémoire a retenus. Combien de souvenirs d’enfance nous sont revenus pour être enfin compris ! Ils s’étaient inscrits sans que nous sachions bien comment ni pourquoi dans notre mémoire, et voici qu’ils nous reviennent à l’heure où nous saisissons leur signification. Les paroles du Christ nous sont souvent difficiles à comprendre, les mots que nous répétons à la messe – par exemple, les mots du Je crois en Dieu– nous sont parfois comme une poésie en langue étrangère. L’Esprit peut leur donner d’être dits dans la langue de notre cœur en faisant que les mots pourtant inchangés nous illuminent enfin. 

De même que, durant trois ans, les apôtres ont suivi de près et quotidiennement les enseignements du Christ, cela ne se fera pas sans que nous y mettions du nôtre. C’est une route ardue que de s’atteler à comprendre ce qui nous semble tellement étranger. La Pentecôte nous manifeste que cette peine ne sera pas sans fruits si nous nous appliquons à ce travail en nous confiant à l’Esprit Saint. L’heure de l’illumination nous échappe, seule nous appartient l’œuvre humble, patiente et nocturne à laquelle l’Esprit promis donnera la lumière. Amen.