
« Béni soit celui qui vient »
Il est une attente en nous. Nous espérons quelque chose et, à défaut de bien savoir quoi, nous nous attachons à ce qui nous semble pouvoir rendre demain meilleur. Ainsi, tous les 5 ans, l’élection d’un nouveau président déclenche un engouement qui laisse songeur. De même, l’arrivée du printemps est la promesse – renouvelée tous les ans et jamais vraiment réalisée – d’une vie plus heureuse. Nous passons nos existences à écouter les promesses de ce monde, car notre cœur veut y croire. En effet, s’il s’y accroche si facilement et parfois si naïvement, c’est bien qu’il est fait pour espérer la venue de ce qui le comblera.
Lorsque Jésus paraît à Jérusalem, il répond à cette attente et les disciples en liesse l’acclament comme celui qui, enfin, pourra accomplir les promesses entendues au fond de leurs âmes et proclamées depuis des siècles par les prophètes. C’est si clair : voilà enfin celui qui vient au nom du Seigneur. Le peuple de Jérusalem ne s’y trompe donc pas.
Condamné à mort, Jésus va pourtant décevoir cette attente comme les disciples d’Emmaüs dépités le lui diront : « Nous, nous espérions que c’était celui qui allait délivrer Israël » ; si bien que, dans un premier temps, il semble que Jésus n’était qu’un faux espoir parmi d’autres. Des Rameaux à la Croix, il n’y a pas plus loin que du Capitole à la Roche Tarpéienne ; et, au début de cette messe, nous sommes passés de l’un à l’autre en une demi-heure. Qu’est-ce qui différencie donc Jésus de tous les autres qui sont venus avec leurs promesses de campagne ?
C’est que les autres ont déçu notre attente parce qu’ils n’étaient pas capables de la combler, Jésus la déçoit parce qu’il est trop grand pour elle. S’il nous entraîne jusqu’au pied de la Croix, c’est pour creuser en nous un désir plus grand. Certes, nous attendons mais nous attendons trop peu. « Désormais, le Fils de l’homme sera assis à la droite de Dieu » Toutes les fois où nous plaçons notre espoir en-dessous de Dieu, nous visons trop court.
Jésus, lui, voit plus large, ce n’est pas Jérusalem qu’il veut embraser, c’est le monde entier ; ce n’est pas d’Israël qu’il désire être le roi, c’est de toutes les nations qu’il rassemble dans le Royaume des cieux. Notre cœur trop rabougri n’était pas capable d’accueillir l’ampleur de cet amour ; c’est pourquoi, au lieu d’y entrer aux forceps, Jésus accepte d’être écartelé pour nous. En toute logique, c’est nous qui avons à souffrir la croix, car elle est le moyen par lequel nous pouvons être guéris de notre manque d’amour. Nous le savons bien puisque nous l’approchons dans ces moments où notre cœur est trop étriqué : quand nous sentons que nous devrions accepter d’être déchirés pour aimer davantage.
Malheureusement, nous ne faisons souvent qu’effleurer la croix avant de la rejeter violemment, renonçant alors à l’amour de Dieu et de notre prochain parce que nous pressentons qu’il nous coûtera trop cher. Ce que nous refusons de traverser, c’est ce que Jésus accepte de vivre sur la croix. Lui dont le cœur est tout ouvert depuis toujours, lui dont le cœur n’a pas de mesure, entre dans l’étroitesse humaine, il se fait à notre trop petite dimension pour souffrir avec nous de l’écartèlement et, de l’intérieur, dilater notre vie à la mesure de Dieu. Il étend son corps sur la croix pour tracer jusqu’à l’infini une ligne verticale et une ligne horizontale dont il est le centre. Reliant toutes choses, sa croix devient alors le cœur battant qui irrigue la multitude des siècles et l’immensité des continents. Amen.