
Homélie du 4e dimanche de carême
La première action du Père est de faire le partage de ses biens ; et, si l’on suit le parcours de chacun des fils, on découvre que la clef de leur cheminement, ce sont les richesses du Père déposées en eux ainsi que la manière dont le Père les a laissés disposer de celles-ci. L’un et l’autre ont reçu gratuitement. Le plus jeune a revendiqué sa part, l’aîné a reçu sans rien réclamer mais, dans les deux cas, le Père ne demande rien en retour. Il ne prête pas, il donne. Il ne cherche pas à profiter de ses biens pour garder ses fils contre lui ou pour leur garantir une bonne vie.
L’un part, l’autre reste ; sans que le Père fasse rien pour garder l’un ou éloigner l’autre. Il n’en est pas indifférent pour autant puisque ce sont ses propres dons qui permettent à chacun d’être libre. En effet, c’est parce que le Père lui a donné sa part d’héritage que le plus jeune peut se permettre de partir et c’est, sans s’en apercevoir, pour continuer à bénéficier de la bonté du Père que l’aîné reste. Le Père soutient leur décision tout en s’interdisant de choisir pour eux. Il accomplit ce miracle d’être à la fois intérieur à leur liberté et extérieur à elle.
Dans un premier temps, les fils ne le voient pas ainsi car chacun d’eux choisit en croyant être libre d’une pure liberté, affranchie du passé. L’un se croit fidèle par son propre mérite, l’autre se croit plus homme de partir loin de son origine. C’est après un certain temps que chacun d’eux va découvrir où plongent ses racines. Tout commence avec le plus jeune : il devra n’avoir plus rien pour trouver au fond de lui-même une richesse dont il s’ignorait possesseur. Alors il rentra en lui-même et se dit : Combien d’ouvriers de mon père ont du pain en abondance ! Sans bien comprendre encore, il découvre à l’intérieur de lui le trésor déposé par le Père et c’est en celui-ci qu’il puise la force de se lever pour faire le chemin du retour. Plus tard, l’aîné fera une découverte semblable en entendant son père lui dire pour répondre à ses récriminations : Toi, mon enfant, tu es toujours avec moi, et tout ce qui est à moi est à toi. S’il écoute, il saisit alors que sa fidélité s’enracine dans le don fidèle et irrévocable du père.
En nous montrant, à son retour, le plus jeune fils dans toute sa splendeur (revêtu du plus beau vêtement, portant une bague et des sandales), en nous laissant imaginer l’aîné qui rejoint son frère dans la fête, Jésus nous indique où se trouve la vraie liberté, celle qui rend l’homme digne et beau. C’est celle qui reconnaît d’où elle vient, qui reçoit son héritage pour ce qu’il est et choisit d’en faire du meilleur. Le Seigneur nous désire grands, libres et saints, pour cela il est prêt à nous laisser partir au loin ou à nous voir rester près de lui. Il sait ce qu’il a déposé en nous et, si nous l’ignorons encore, il attend le jour où nous nous en saisirons et en ferons une vie nouvelle dont les fruits dépasseront encore ce que les racines pouvaient laisser imaginer. Amen.
Héritiers ou parricides ? L’un et l’autre, à proportions variables, car l’homme le plus libre, voire le plus révolté, ne peut rejeter tout l’héritage (l’hérédité, la culture, etc.) et le plus fidèle à la tradition paternelle ne peut être un décalque absolu du père. – Le meilleur héritier est celui qui fait fructifier l’héritage au-delà de ce que le père aurait pu prévoir et même approuver.
Gustave Thibon, L’illusion féconde