
Homélie du 3e dimanche de carême
« J’ai vu la misère de mon peuple qui est en Égypte »
Pécheurs ou saints, bons et mauvais, nous sommes assurés de « périr tous de même » que les Galiléens cruellement tués par Pilate. Pire, nous mourrons peut-être écrasés par le fruit même de notre travail comme ces dix-huit personnes sur lesquelles s’est effondrée la tour de Siloé. Tout ce que nous construisons pour tenter de nous établir en ce monde ou nous approcher de Dieu, toutes les tours que nous élevons ne sont que des mirages et, si cela ne nous est pas encore arrivé, nous nous retrouverons bientôt par terre, ce d’autant plus douloureusement que nous avions cru nous élever.
« Si vous ne vous convertissez pas, vous périrez tous de même. » Tant que nous croyons pouvoir nous établir dans l’éternité, nous sommes perdus. Toutes les œuvres humaines, mêmes les plus solides, finissent par disparaître dans le néant. Bien que nous le sachions, il est si difficile de vivre en conséquence. C’est, la plupart du temps, que nous n’imaginons pas pouvoir nous accrocher à quoi que ce soit d’autre. Le bateau sur lequel nous sommes est en train de couler mais c’est le seul que nous avons, nous en profitons donc tant qu’il dure. Nous oublions qu’il est un autre refuge : il en est un qui nous tend la main et désire pour nous l’éternité.
C’est le Seigneur qui se penche jusqu’à nous. « J’ai vu la misère de mon peuple qui est en Égypte. » Il vient vers nous et nous appelle à lui. Le Seigneur se tient là à attendre que nous cessions de compter sur nous-mêmes et nos œuvres qui plongent dans le néant pour nous attacher à lui qui demeure à jamais. Ce qui nous retient de le suivre, c’est qu’il nous emmène au désert. Pour nous conduire jusqu’à lui, il nous débarrasse de tout ce qui n’est pas lui. Les Hébreux que Moïse avait sortis de l’esclavage sont passés par quarante années durant lesquelles leur situation précédente leur semblait meilleure. Ils avaient Dieu mais ils n’avaient plus rien d’autre.
L’alternative est simple : vivre d’expédients pour oublier que nous disparaîtrons avec eux ou suivre l’appel à tout quitter, partir au désert dans un acte de confiance invraisemblable en un Dieu qui promet de nous combler. Tel est le sens de notre carême. Il demande une folie. Comme ce personnage de Bienvenue à Gattaca qui bat son frère au concours de celui qui ira le plus loin au large à la nage et qui lui avouera un jour son secret : « Je n’ai jamais économisé mes forces pour le retour. »
Notre carême n’est pas une plongée en apnée dans laquelle nous attendrions patiemment que ça se termine pour pouvoir ensuite revenir à notre vie habituelle. Il nous prépare au grand passage, à ce jour de notre mort où nous n’aurons même plus d’air pour emplir nos poumons, où nous ne pourrons plus compter sur rien d’autre que Dieu. Pour que ces quarante jours nous dénudent suffisamment, qu’ils nous abandonnent entre les mains du Seigneur, il est nécessaire que nous avancions dans le désert sans savoir comment nous arriverons au bout, sans économiser de forces pour le retour. Notre vie est un curieux mélange de sage discernement et de folie d’amour, quelle place ménageons-nous à cette folie dans notre jeûne, notre prière, notre aumône ? Amen.