Comme son maître

Homélie du 8e dimanche du temps ordinaire

« Celui qui est bien formé sera comme son maître » 

Le seul maître c’est le Christ. Il est le seul qui voit, qui n’ait pas de poutre dans l’œil, et le bon arbre, celui dont le cœur est bon, c’est encore lui. Bien des fois pourtant, nous sommes en position d’enseigner, de guider. De quel droit ? Un peu de lucidité nous suffit à connaître certaines de nos poutres et à imaginer que nous ignorons encore pas mal de nos aveuglements. À entendre les mots du Christ, nous sommes encouragés à nous taire plutôt qu’à entraîner les autres dans le trou vers lequel nous nous dirigeons dans notre cécité.

Cependant Jésus nous dit aussi : « celui qui est bien formé sera comme son maître », autrement dit, le disciple est appelé à devenir maître à son tour, à ressembler à l’unique maître. Bien que nous ne soyons pas au-dessus de lui, il nous appelle à collaborer à son enseignement, à son rayonnement dans ce monde. Nous pouvons trembler à cette idée. Elle est trop ambitieuse pour nous, elle est éminemment risquée. Nous avons donc raison de redouter cette perspective. Au moment même où nous oserons ouvrir la bouche, que le Seigneur nous garde dans cette attitude d’humilité. 

Parce qu’elle n’est pas une simple modestie, cette humilité nous encourage aussi paradoxalement à ne pas fuir notre place. Parents, enseignants, éducateurs, prêtres ou peut-être simplement témoins du Christ, Jésus nous a choisis, il nous a appelés à le transmettre à nos frères. « Tu participes à sa dignité de prêtre, de prophète et de roi » avons-nous entendu au jour de notre baptême ; « Prophète », c’est-à-dire celui qui proclame la parole de Dieu aux autres pour qu’elle porte du fruit en leur cœur. Jésus ne nous invite pas à renoncer à retirer les pailles ni à guider les aveugles mais à prendre les moyens de le faire avec fruit car notre vocation chrétienne consiste bien en cela : entraîner les autres dans la contemplation de Dieu ; mais cela ne pourra se faire que si nous sommes de plus en plus de fidèles reflets de notre unique maître. « Enlève d’abord la poutre de ton œil » signifie en réalité « commence par venir au Christ qui pourra te donner de voir ». Toute instruction fructueuse prend racine en Dieu. Le bon arbre se reconnaît à son bon fruit, le bon cœur au bien qu’il accomplit mais l’un et l’autre ont un secret : ils reçoivent de Dieu la vie qu’ils transmettent. 

Nous n’avons aucune légitimité pour enseigner ou pour éduquer ; si nous parlons c’est que le Christ nous a choisis et établis pour être dans ce monde les échos de sa parole, les reflets de son regard. Cet appel nous engage à être transparents à sa lumière. À mesure que nous laissons le Seigneur purifier nos cœurs et les rendre plus saints, nous produisons des fruits meilleurs. Plus nous sommes en responsabilité, plus nous avons à enseigner, plus il nous faut donc revenir à Jésus afin que ce soit lui qui, à travers nous, enseigne et conduise. Notre seul espoir pour ceux qui nous sont confiés sera de laisser le Seigneur agir et parler à travers nous. Amen.