
Homélie du 5e dimanche du temps ordinaire
« Nous avons peiné toute la nuit sans rien prendre. »
Les pêcheurs lavent leurs filets au bord du lac. Plus loin, on apprend qu’ils ont peiné toute la nuit. Ils sont donc au bord du lac, dans ce moment où l’on a renoncé et laisse s’effacer dans le passé les traces de l’échec. Comme la besogne stérile s’échappe de notre mémoire, les algues et le sable qui sont restés sur les filets inutiles sont méticuleusement nettoyés par les pêcheurs. On ne peut pas dire qu’ils soient déçus à proprement parler, ils ont dû connaître d’autres nuits sans poissons. Sans pour autant savoir qu’ils reviendraient bredouilles, ils n’attendaient sans doute rien d’extraordinaire de celle-ci, simplement de quoi se sustenter. Ils ne sont pas tombés de bien haut donc, ils sont peut-être un peu frustrés, un peu inquiets pour l’avenir, mais ils sont aussi soulagés.
En effet, quand on a peiné et que l’on n’est arrivé à rien, lorsqu’on décide de cesser de s’acharner, la déconvenue inhérente à l’échec se mêle d’un étrange réconfort. On se dit : « c’est enfin fini ! ». C’est peut-être raté mais, au moins, l’épreuve est terminée. On est à terre mais la douleur du combat est passée, on est défait mais l’armistice est signé, on peut baisser les bras, rentrer chez soi, se reposer. On tente d’oublier la stérilité des travaux passés, on essaye de ne pas penser à l’œuvre à venir et, pour un temps, on profite de la trêve que nous ménagent les circonstances. Soulagés de ce répit temporaire, les pêcheurs achèvent le nettoyage des filets. Une fois qu’ils seront propres, ce sera comme si cette nuit n’avait pas existé.
C’est dans cette ambiance de défaite reposante que Jésus vient rencontrer les pêcheurs fatigués. Ceux-ci l’accueillent dans leur barque pour le mener un peu à l’écart du rivage et qu’il puisse ainsi commodément parler aux foules massées sur le bord. Le discours du Christ ne nous est pas ici rapporté ; ce qui nous est dit, c’est le fruit de ses paroles dans le cœur des pêcheurs et, en particulier, de Simon. En effet, l’enseignement de Jésus nourrit quelque chose en lui et le fait passer d’une attitude de retraite à une reprise du travail pénible de la pêche. Entre le nettoyage de leurs filets et l’obéissance à l’ordre de Jésus : « Avance au large, et jetez vos filets pour la pêche », les pêcheurs ont entendu l’enseignement de Jésus, son discours a pris la place du répit qu’ils attendaient.
Au lieu de rentrer chez eux pour s’allonger, ils ont croisé Jésus sur leur chemin, ils l’ont porté dans leur barque et ils se sont mis à l’écouter ; à travers ses paroles et sa présence, ils ont contemplé le Père. Ainsi, ce qui aurait pu être une fatigue supplémentaire leur a donné des forces neuves et inattendues. Il y a ici une image de la prière. Nous y faisons l’expérience d’une activité qui délasse, d’un travail qui nous rend des forces, d’une veille qui repose ; la prière est ce joug facile à porter, peine supplémentaire qui est la détente de nos âmes.
Alors, Jésus demande à Pierre : « avance au large, et jetez vos filets pour la pêche ». Ici, il ne lui demande pas simplement un effort de plus, comme s’il s’agissait uniquement de jeter une fois supplémentaire le filet dans l’eau. Il lui demande de tout reprendre à neuf. Les filets sont propres, les jeter dans la mer, c’est accepter de tout recommencer. Si Pierre le fait, il le dit lui-même, c’est sur la parole de Jésus : non seulement par confiance en l’ordre qui vient d’être prononcé, mais parce qu’il a entendu l’enseignement du Christ, qu’il en a été nourri. De lui-même, il n’en avait plus l’énergie, il avait renoncé ; la parole de Jésus l’a empli d’une espérance nouvelle. En écoutant, Pierre s’est comme reposé sur le Seigneur ; la force de jeter les filets vient alors comme une conséquence de cet abandon.
De manière surprenante, le succès semble plus pénible que ne l’était l’échec : les filets sont sur le point de se déchirer, les barques enfoncent. Les hommes ne sont plus habitués à la fécondité, seul le Christ permet d’affronter la prospérité sans se briser sur elle. C’est pourquoi Pierre revient à Jésus et reconnaît en lui celui duquel vient tout don. Amen.