De la familiarité

Homélie du 4e dimanche du temps ordinaire

« N’est-ce pas là le fils de Joseph ? »

La familiarité risque de nous faire passer à côté du surnaturel. Les enfants sont capables de s’émerveiller parce que, pour eux, tout est neuf. Comme ils n’ont pas vécu, chaque expérience est une première fois qui les enchante. Mais le charme de la nouveauté est aussi lumineux qu’éphémère et, dès lors qu’elle se répète, une expérience prend vite place dans notre quotidien, son relief est élimé, elle rejoint l’habitude. Nous pouvons ne même plus nous apercevoir de l’existence de ce qui nous semblait si prodigieux. Une épouse à qui son mari apporte le petit-déjeuner au lit un jour de fête, trouve cela sensationnel ; un époux à qui sa femme prépare tous les jours le petit-déjeuner trouve rapidement cela naturel et, bientôt, râlera si, un matin, elle vient à manquer à ce qu’il en est venu à considérer comme un dû et un droit. (Que l’on se rassure ici : en inversant les rôles, ça marche aussi !)

L’habituel nous apparaît naturel. Nous finissons par ne même plus imaginer qu’il puisse en être autrement. Pourtant, nos cœurs ne désirent pas vivre de l’éphémère, ils veulent de l’émerveillement qui dure. Peu de fiancés ne souhaitent qu’une unique et parfaite union avec l’élu de leur cœur, ils désirent plutôt, au risque de l’accoutumance, passer leur vie à ses côtés. « Aucun prophète ne trouve un accueil favorable dans son pays ». À Capharnaüm, Jésus avait fait de l’unique ; à Nazareth, il faisait du classique. Qu’aurions-nous préféré : assister à un miracle de Jésus ou bien vivre durant trente ans à ses côtés, le voir grandir, le connaître jusque dans ses habitudes les plus banales, savoir le bruit de son pas, reconnaître sa voix souvent entendue ? Sommes-nous de Capharnaüm ou de Nazareth ? 

On ne reste pas longtemps de Capharnaüm si l’on s’approche de Jésus pour choisir de vivre avec lui. Nous avons pu expérimenter, certains parmi nous expérimentent peut-être encore, une lune de miel avec Jésus, l’enfance d’une relation, ce moment où tout est neuf et inouï. Pour beaucoup, nous sommes désormais de Nazareth, nous côtoyons Jésus de près ou de loin mais depuis un certain temps, ce n’est pas hier que nous l’avons rencontré. Alors, les vérités de la foi, la prière, les sacrements, la vie chrétienne dans son ensemble peuvent nous apparaître sans relief. Nous nous sommes accoutumés à une certaine pratique, nous prions peut-être mais que reste-t-il en nous de l’émerveillement des premiers temps, de l’enfance de notre foi ? 

« Nous avons appris tout ce qui s’est passé à Capharnaüm : fais donc de même ici dans ton lieu d’origine ! » Si nous réclamons à Jésus de retourner en arrière, il ne peut rien pour nous. Nous ne ferons pas que notre relation avec lui soit sans passé. En revanche, nous pouvons lui demander d’enchanter celle d’aujourd’hui, ou plutôt, nous pouvons trouver ce qu’elle a de merveilleux. Il y a parfois quelque chose d’agaçant pour des parents à voir que leurs enfants trouvent génial tel adulte qu’ils voient une fois de temps en temps. Celui-ci a pour lui la nouveauté et le caractère inhabituel de ses apparitions ; la fidélité des parents auprès de leurs enfants dans la santé et dans la maladie, dans les joies et dans les peines n’est-elle pas pourtant bien plus prodigieuse ?

Ce qui est extraordinaire pour nous qui le connaissons depuis longtemps, c’est l’ordinaire de la fidélité de Dieu à nos côtés. Il n’est pas un jour sans que le soleil ne se lève, il n’est pas un instant sans qu’il désire notre existence et nous donne vie. Pour vivre dans la familiarité avec Dieu sans risquer de le mettre au rang du banal, il est une manière toute simple qui s’appelle la louange. Chaque chose que nous recevons appelle un merci et une bénédiction : un merci pour la personne qui nous le donne, une bénédiction pour le Seigneur sans qui rien ne serait. 

Si nous entrons dans cette louange, elle ne nous nous fera pas simplement entrer dans la juste attitude devant la merveille qu’est chaque bonne chose de cette terre mais elle ouvrira aussi nos cœurs à la possibilité du surnaturel et au miracle. Les cœurs fermés sur leurs habitudes finissent par devenir incapables d’accepter la nouveauté elle-même, ceux qui accueillent chaque simple instant comme un don, reçoivent aussi en surabondance les prodiges du ciel. Amen.