La paille et le grain

Homélie du 3e dimanche de l’Avent

« Il amassera le grain dans son grenier »

Notre action risque d’être une sorte de course éperdue et vaine. C’est pourquoi la question posée à Jean-Baptiste – « Que devons-nous faire ? » – est brûlante. Il s’agit de savoir ce qui restera de notre vie. De ce point de vue, même nos réalisations les plus durables ne suffisent pas à donner sens à notre existence car elles aussi disparaîtront un jour. Pourquoi donc porter un fruit quelconque s’il doit s’évanouir avec le temps ? Si nous ne voulons pas nous contenter d’une vie faite de remplissage en définitive inutile, c’est donc la question à nous poser : comment être vraiment fécond ? 

Pour y répondre, il nous faut être orientés vers le ciel. Les succès de ce monde ne sont rien au regard de la récolte finale. C’est pourquoi Jean-Baptiste renvoie cette question de la fécondité dans l’éternité. « Il tient dans sa main la pelle à vanner ». Il séparera paille et grain : viendra un temps où ce qui passe sera brûlé et ce qui demeure sera recueilli par le Seigneur. Notre action en ce monde doit viser cet instant final. Nous passons notre vie à faire des semailles, il importe que celles-ci portent une moisson d’éternité, autrement nous perdons notre existence à produire de la paille. Cela mérite qu’on s’y arrête et que l’on se demande chaque jour ce qui est vraiment utile, ce qui porte du fruit dans les âmes, car elles seront les seules à passer la mort. 

Doit-on pour autant renoncer aux choses qui passent ? Bien des heures sont consacrées à des réalités passagères, devrions-nous tout faire passer au tamis de l’éternité et ne nous préoccuper plus directement que de ce qui demeurera ? Ce n’est pas ce que Jean-Baptiste dit en évoquant un champ de blé qui ne sera moissonné qu’à la fin. « Il amassera le grain dans son grenier ; quant à la paille, il la brûlera au feu qui ne s’éteint pas. » Pour aujourd’hui et tant que ce n’est pas l’heure de la moisson, paille et grain ne sont pas divisés, ils poussent inséparablement, l’un avec l’autre et même plus encore : l’un de l’autre. La paille peut sembler inutile mais le grain ne peut pousser que sur la paille. Autant il est vain de ne produire que de la paille, autant il est impossible de ne produire que du grain. Les réalités terrestres peuvent apparaître vaines et passagères mais elles sont le moyen qui nous est donné pour que grandisse le grain. Notre appel n’est donc pas de nous affranchir de la paille, il est de viser l’éternité, de ne pas nous arrêter à la paille mais de vérifier qu’elle porte du fruit, d’user des réalités de ce monde comme Dieu les a voulues : pour la croissance de nos âmes. Amen. 

« Il n’y a pas de vraies moissons ici-bas : rien que des semailles dans l’inconnu »

Gustave Thibon, L’ignorance étoilée