Homélie du Christ-Roi

En disant à Pilate : « Mon Royaume n’est pas de ce monde », le Christ annonce qu’il vient d’ailleurs. Il est un roi en exil parti de son pays pour rejoindre notre terre qui ne lui fut pas hospitalière. En effet, dès sa naissance, le Christ ne trouve pas de place à Bethléem, et c’est dans une mangeoire que les bergers viennent adorer le roi de l’univers ; plus tard, il proclamera : « le Fils de l’homme n’a pas de pierre où reposer la tête ». Cette terre n’est pas faite pour lui et il ne prétend d’ailleurs pas s’y installer. Sa vie n’est en fait qu’un long retour vers la véritable patrie à laquelle il veut entraîner tous ceux qui se laisseront guider par lui.
Le Christ est un roi agissant, un roi pasteur à la façon de David ; si bien que pour se représenter sa royauté, il faut penser aux rois en bataille, à la tête de leur armée ou à Ulysse conduisant ses nefs vers Ithaque à travers les épreuves du retour. Contrairement au roi du Petit Prince qui attendait que ses sujets viennent à lui pour se les accaparer, le Christ exerce sa royauté en descendant jusqu’à nous. Il se fait proche de nous pour nous montrer le chemin vers le ciel. Il est la « route qui cherche des voyageurs » (Saint Augustin), le roi qui cherche ses sujets en « rendant témoignage à la vérité ».
Ses sujets sont ceux qui ont « écouté sa voix », ce sont les chrétiens ; et, en rencontrant Jésus, ils se découvrent les exilés d’une terre qu’ils n’ont jamais habitée. En reconnaissant le Christ pour notre roi et les cieux pour notre patrie, nous avons accepté de n’être pas faits pour ce monde. Envoyés dans le monde, agissant dans le monde, les chrétiens disent comme le Christ : « nous ne sommes pas de ce monde ». Il peut nous sembler parfois qu’il serait plus simple d’accepter cette terre telle qu’elle est, de nous y résoudre sans désirer davantage, de laisser tomber nos désirs de Dieu, mais nous avons entrevu quelque chose du ciel en rencontrant Jésus et nous ne pouvons plus nous résoudre à n’être faits que pour cette terre. Nous sommes d’ailleurs.
Si un jour nous laissions mourir ce désir mêlé de regret, nous serions comme un Ulysse qui aurait renoncé à retrouver Pénélope, qui se serait abandonné aux bras des sirènes et aurait oublié ce qui fait le sens même de son odyssée. Toutes les fois que nous sommes tentés de renoncer au ciel, c’est vers le Christ Roi que nous nous tournons, c’est à sa Croix que nous devons être arrimés pour ne pas laisser les voix du monde nous entraîner vers l’abîme, c’est la voix de Jésus qui réveille en nous l’immense désir de la cité céleste où il sera tout en tous. Ulysse ne fut heureux et son voyage ne fut beau que parce qu’il rentra « vivre entre ses parents le reste de son âge », parce qu’il n’a pas cessé de chercher Pénélope et qu’il revint à elle. Jusqu’au dernier jour nous sommes en danger de renoncer à cette attente du ciel qui est à la fois joie et douleur, nostalgie et désir, regret et espérance. En la perdant, nous aurions tout perdu. C’est la voix du Christ qui nous rend à la vérité, c’est en l’écoutant que nous garderons au cœur cette flamme qui monte vers les cieux. Amen.