Dans les yeux de Dieu

Sans titreHomélie du 32e dimanche du temps ordinaire

« Jésus regardait »

Dans le Temple de Jérusalem, il y a ce que l’on voit et l’invisible. Il y a l’endroit et l’envers. Des hommes s’avancent vers Dieu et lui offrent leur prière. Ici, elle prend la forme d’une offrande d’argent. Difficile d’être discret si l’on veut être généreux à l’époque de Jésus : il n’y a pas de virements, pas de cartes bleues, pas de chèques, pas de billets. Il faut bien les transporter toutes ces pièces pour les déposer dans le trésor du Temple ! Elles prennent de la place, elles pèsent lourd, elles font du bruit lorsqu’elles tombent dans le tronc. Jésus ne critique d’ailleurs pas ces dons car, dans ces conditions, les riches ne peuvent se cacher que s’ils sont avares. À l’époque, qu’on le veuille ou non, la générosité apparaît au grand jour.

Au milieu de ce défilé d’offrandes manifestes, il y a cependant deux personnes que nul ne voit pour ce qu’ils sont véritablement. Il y a le Christ tout d’abord. Dans la foule, il regarde. Il n’est pas un juif parmi les autres, il se tient là comme chez lui. Ces offrandes déposées dans le trésor de Dieu, c’est en réalité à lui qu’elles sont offertes. Aussi les reçoit-il : Jésus, assis dans le Temple en face de la salle du trésor, regarde comment la foule y mettait de l’argent. Tel un prince assis sur son trône au cœur de son palais, il est là « aux affaires de son Père », il accueille avec joie la bonté de ces riches venus se délester d’une partie de leur fortune ; et, en réceptionnant les richesses déposées, c’est l’amour même de ceux qui s’avancent qu’il récolte. L’argent ne l’intéresse qu’en tant qu’il témoigne du désir de Dieu qui habite le cœur de ces hommes venus dire leur amour de manière un peu malhabile. Il y a sans doute parmi eux quelques vrais hypocrites, il y a bien plus sûrement tous ceux qui comme nous se donnent à Dieu de travers, à moitié, superficiellement, ne sachant pas mieux faire, espérant que le Seigneur complétera leur offrande et la rendra meilleure. Jésus les accueille avec miséricorde et bonté.

Cependant, voici qu’une offrande va dépasser toutes les autres aux yeux du Christ. Une pauvre veuve s’avance inaperçue et le bouleverse. Au moment où elle dépose ses deux piécettes, il reçoit la vie même de cette femme qui vient de se déposer tout entière dans le cœur de Dieu. Les deux piécettes iront se noyer dans les milliers qui se trouvent déjà dans le trésor et seront vite recouvertes par une multitude d’autres. Elles sont vite englouties. Cette femme même a déjà disparu dans la foule. Pourtant rien de cela n’est perdu. Jésus ne se laisse pas distraire par le brouhaha des richesses qui continuent de tomber dans le trésor, une seule chose l’intéresse : la vérité de l’offrande, l’amour dont elle est le témoignage, l’amour par lequel cette femme s’offre tout entière à lui. Jésus souligne la beauté de son offrande pour nous dire qu’il a recueilli précieusement la vie même de la pauvre veuve. Elle s’est offerte à lui, il se donne à elle et c’est désormais entre eux à la vie, à la mort.

En ce 11 novembre 2018, cette veuve évoque aussi en miroir toutes ces pauvres femmes, veuves du sacrifice de leurs époux morts et mères en deuil de leurs fils, hommes morts pour leur patrie lors de la Grande Guerre. Ils ont été jetés à terre et chacun de leurs corps est quasiment invisible dans la foule des tués. Nous recueillons aujourd’hui leur offrande en honorant leur mémoire et en priant pour eux. Le Seigneur qui voit le fond des cœurs est notre seule espérance, qu’il accueille en lui leurs vies données et leur fasse porter des fruits de paix pour notre terre. Amen.