La prière du cœur

1-1Homélie du 30e dimanche du temps ordinaire

« Fils de David, prends pitié de moi. »

C’est de loin que l’aveugle de Jéricho entend approcher Jésus. Dans sa nuit, il ignore vers où se dirige le Christ ni même si sa prière parviendra à ses oreilles. Il la prononce pourtant. Son désir n’est pas encore clair, il ne dit que « prends pitié de moi ». Il ne prétend pas savoir quel est son bonheur, il espère simplement sortir de son malheur. C’est une image de notre prière, elle nous plonge avant tout dans l’ignorance, dans les ténèbres.

Commencer à prier, c’est accepter de reconnaître notre aveuglement. Nous sentons en nous des forces contradictoires, violentes ou émoussées, nous souhaiterions davantage d’ardeur ou nous ne savons pas quoi faire du feu qui brûle en nous. Alors, nous venons au Seigneur pour qu’il creuse le désir, qu’il l’oriente et pour que sa grâce puisse cheminer en nous. Il ne suffit pas de faire tomber une pluie abondante sur le sol asséché depuis trop longtemps, il faut tout d’abord la retourner, la labourer, il faudra ensuite creuser des rigoles et des canaux d’irrigation afin que l’eau puisse étancher la soif de la terre. C’est le travail de la prière en nous lorsque nous acceptons qu’elle soit un cri, lorsque nous la laissons vraiment jaillir : libre, violente, douloureuse s’il le faut. Alors, elle laboure, elle retourne, elle creuse.

Cela ne va pas sans lutte tant le monde autour de nous tend à faire taire cette prière. « Les gens le rabrouaient pour le faire taire ». Il y a bien sûr la vie moderne dont Bernanos disait qu’elle était une « conspiration contre la vie intérieure ». En effet, autour de nous se tient un monde qui peut nous retenir à l’extérieur de nous-mêmes si nous ne lui mettons pas des limites, si nous ne nous en séparons pas régulièrement pour nous assurer que nous sommes encore vivants à l’intérieur. Cependant, cette plongée ne suffit pas car nous rencontrons aussi à l’intérieur bien des obstacles à la prière : déceptions passées qui nous retiennent d’espérer, peurs qui détruisent notre peu de confiance en Dieu, angoisses réelles ou sans causes, etc. Devant chacun de ces obstacles à notre prière, l’aveugle nous indique la route : « il criait de plus belle ». L’adversité ne se combat qu’en redoublant de prière. Nous souffrons de ne pas réussir à prier ? Nous peinons de ne pas être à la hauteur de Dieu ? Nous nous lamentons d’être envahis de tant d’agitation ou d’être si desséchés ? Que cette douleur soit notre prière ! « Fils de David, prends pitié de moi ! »

Ce cri peut jaillir de nos entrailles pendant bien longtemps avant qu’il ne se passe quoi que ce soit ; à vrai dire, tant que nous le poussons, c’est que nous sommes vivants car nous désirons encore, nous attendons encore quelque chose de Dieu. Il est aussi quelques jours où nous entendons le Seigneur répondre à notre cri d’appel ; ils semblent éphémères mais chacun est à l’image du jour dernier où les saints et les anges viendront nous entourer et nous dire, en réponse à toutes ces années de désirs et de cris : « Confiance, lève-toi, il t’appelle ». Ce jour-là, notre corps tombera à terre comme le manteau de l’aveugle et notre âme bondira pour courir à la rencontre du Sauveur. Toute notre prière sera comme rassemblée et le Seigneur y répondra en nous rendant enfin la vue. Nos yeux s’ouvriront sur lui et nous contemplerons sa lumière. Alors, son amour nous donnera de comprendre enfin ce qu’il préparait si patiemment en nous tandis que nous avions l’impression qu’il nous avait abandonnés dans les ténèbres. Amen.