Un enfant les conduira

maxresdefaultHomélie du 25e dimanche du temps ordinaire

« Quiconque accueille en mon nom un enfant comme celui-ci, c’est moi qu’il accueille. »

A la fin de La Nuit du chasseur, un film de 1955, on entend une mère d’adoption prononcer ces mots au sujet des orphelins qu’elle recueille : « Mon âme est humble quand je pense à la manière dont les petits acceptent leur sort. Le vent souffle et les pluies sont froides et pourtant, ils supportent, ils supportent et ils endurent. » Lorsque, dans l’évangile d’aujourd’hui, Jésus s’identifie à l’enfant – « Quiconque accueille un enfant, c’est moi qu’il accueille » –, il nous dit sa manière d’être homme.

L’enfant reçoit chaque jour comme il vient, sans protection et sans armure. Un jeune enfant qui se casse un membre ne suit pas de rééducation, il retrouve le mouvement comme il avait reçu la blessure : sans résistance. Ainsi du jeune David qui se débarrassa de l’armure de Saül qu’on lui avait fait revêtir pour affronter Goliath : elle n’était pas taillée pour lui, elle le rendait incapable de se déplacer. « Qui est-il, ce Goliath, pour avoir défié les armées du Dieu vivant ? » proclame David qui s’avance sans autre assurance que le Seigneur, image d’une enfance tout ouverte au don de Dieu.

Adultes, nous avons déployé des compétences extérieures pour vaincre les difficultés, nous avons des protections et des systèmes de défense ; souvent, nous croyons même pouvoir nous débrouiller par nous-mêmes. Au contraire, les enfants sont dénués de toutes ces armes.  Ils nous apparaissent courageux parce que nous nous imaginons encore que pour traverser les épreuves, il faut les maîtriser. Au contraire, les enfants ne les affrontent pas, ils ne se crispent pas dans l’adversité, ils accueillent au fil de l’eau la vie qui se présente à eux. Jacques Lusseyran, qui fut rendu aveugle par un accident à l’âge de 8 ans, écrivait : « Les grandes personnes oublient toujours que les enfants ne protestent jamais contre les circonstances, à moins naturellement que les grandes personnes elles-mêmes soient assez folles pour leur apprendre à le faire. Pour un petit de huit ans, ce qui est « est », et c’est toujours le meilleur. […] Je sais ces choses toutes simples et que, du jour où je suis devenu aveugle, je n’ai jamais été malheureux. Quant au courage, dont les adultes font un si grand mérite, il ne se présente pas à un enfant comme à nous. Pour un enfant, le courage est la chose la plus naturelle du monde, la chose à faire. Et à faire à chaque instant de la vie. Un enfant ne pense pas à l’avenir, ce qui le protège contre mille sottises et presque contre toutes les peurs. Il se fie au courant même des choses, et ce courant lui apporte à chaque instant le bonheur.[1] » Les enfants reçoivent sans bouclier dans leur cœur grand ouvert les blessures infligées par le mal aussi bien que la lumière de la grâce divine.

En nous disant, « l’enfant, c’est moi », Jésus nous montre la place qu’il a choisie : être celui qui n’oppose aucune armure aux coups, être celui qui endure sans même serrer les dents, sans crisper les mains en s’abandonnant simplement les yeux fermés et les mains ouvertes entre les bras de Dieu. Sur la croix, c’est cette pure vulnérabilité qu’il a offerte à ses ennemis, au mal et à la mort, et c’est elle que Dieu a pu combler de sa vie pour lui donner sa résurrection. Depuis la nuit de Noël et le jour de Pâques, l’Éternité est à ceux qui accueilleront cette fragilité en choisissant de renoncer à leur grandeur pour se mettre comme le Christ à hauteur d’enfant. Amen.

[1]Jacques Lusseyran, Et la lumière fut