À l’innocent blessé

Isusove-rane-600x420.jpgHomélie du 24e dimanche du temps ordinaire

« Je ne me suis pas dérobé »

Dès les premiers instants de la vie de Jésus, le martyre des saints innocents rappelle douloureusement que c’est pour eux qu’il est venu. Alors que le cri de tant de faibles – meurtris au cœur même de l’Église – retentit et demande justice, nous sommes ramenés aujourd’hui à la Croix où le Christ souffre et meurt, où il nous demande de le suivre. Comme Pierre nous l’avons reconnu pour notre Sauveur, comme Pierre nous sommes tentés de lui interdire de souffrir et de mourir ; mais c’est en souffrant pour les faibles bafoués et en portant la juste condamnation des criminels que le Christ est venu nous sauver.

Il s’est laissé écraser par les grands prêtres et les anciens d’une religion corrompue pour porter la douleur des victimes innocentes, pour unir ses plaies à leurs plaies, pour mêler son sang à leur sang versé et pour offrir sa vie à leurs vies volées. Devant leur douleur, nous n’avons rien à leur donner que Jésus et Jésus crucifié. Nous ne sommes rien, nous ne pouvons rien, nous nous tenons pauvrement à leurs côtés, nous écoutons leur détresse en restant impuissants à la consoler, nous luttons pour faire la vérité qui leur est due et découvrons alors la difficulté qu’il y a à dénouer les liens du mensonge sans blesser davantage les victimes ; nous jeûnons et nous prions pour eux tout en sentant le caractère dérisoire de ces armes pour lutter contre les ténèbres qui ont rempli leur cœur. Le Christ seul pourra restaurer le vase de lumière qui a été si scandaleusement brisé. Devant l’ampleur du mal venu attaquer la racine même d’une vie, il est notre espérance.

Ce n’est pas tout, l’appel que le Christ nous adresse ne s’arrête pas là. Il demande à ceux qui veulent marcher à sa suite de « renoncer à eux-mêmes, de prendre leur croix et de le suivre ». Notre place de chrétiens est avec Jésus : sous la croix à la porter puis sur la croix à y mourir. Avec Pierre, nous sommes toujours tentés de chercher à l’épargner au Christ comme à nous-mêmes : en nous défendant avec des statistiques, en disant que c’est du passé, en proclamant que nous nous en sortons moins mal que les autres institutions, en rappelant que nous ne sommes pas personnellement coupables, voire pire : en cachant le péché de nos frères pour sauver la face. Toutes les fois que nous fuyons de cette manière, nous ne faisons qu’alourdir le poids du bois qui pèse sur les épaules des innocents meurtris, nous sommes le Satan qui vient s’opposer au Christ et faire souffrir davantage.

La seule voie que Jésus nous indique est celle de sa croix. « Celui qui veut sauver sa vie la perdra ; mais celui qui perdra sa vie à cause de moi et de l’Évangile la sauvera. » Si nous voulons le suivre, nous ne nous déroberons pas. Nous entendrons la blessure des innocents qui crie jusqu’au ciel, nous lutterons pour que toute la vérité soit faite, nous leur rendrons justice ; et de notre côté nous porterons la croix des réprouvés. Comme Jésus, nous ne refuserons pas d’être insultés, injuriés, traités comme des coupables, recevant l’opprobre sans fuir, ne réclamant rien pour nous-mêmes et tout pour ceux qui ont été blessés, eux qui souffrent bien plus injustement et profondément. Alors nous rejoindrons le Christ sur la croix, alors il pourra rendre la vie aux innocents blessés et, par eux, à toute l’Église. Amen.