Homélie de la Nativité de Saint Jean-Baptiste
« Il parlait et bénissait Dieu »
De près ou de loin, nous connaissons tous des couples qui souffrent d’attendre depuis trop longtemps la venue d’un enfant. Devant ce drame, nous sommes des témoins impuissants ; leur douleur nous est inatteignable, nous voudrions les aider et leur offrir une solution mais ne pouvons qu’être à leurs côtés sans même les rejoindre dans leur souffrance. Ils sont pour nous un vivant rappel de l’état de notre monde, blessé jusque dans ses racines ; en effet, il devrait être dans l’ordre des choses que l’amour d’un couple soit donneur de vie et que cela resplendisse par la venue d’enfants. Pourtant, déconnectée par le mal de la source de la vie, la création est devenue incapable de la porter dans les lieux où elle devrait jaillir si naturellement. Le Seigneur veut la guérir véritablement et en profondeur. Nous pourrons le comprendre en regardant comment naît Jean-Baptiste.
« Le Seigneur lui avait montré la grandeur de sa miséricorde ». En découvrant son fils, Élisabeth contemple à travers ce nourrisson la grâce de Dieu à l’œuvre, elle entrevoit comment le Seigneur va renouveler ce monde. En effet, il ne se contente pas ici de donner une fécondité charnelle à Zacharie et son épouse, il redonne vie à l’humanité en ouvrant une brèche par laquelle il pourra lui-même passer. De fait, Jean-Baptiste, le précurseur, a pour vocation de préparer la route par laquelle passera le Christ. Il creusera dans le cœur des hommes le sillon dans lequel pourra pousser l’Évangile. Il est la tête de pont du Dieu unique et, s’il a pu l’être, c’est par la prière de ses parents.
Revenons en arrière et repensons à l’annonce de la naissance de Jean : elle est faite à Zacharie alors qu’il monte à l’autel pour offrir l’encens ; il avait été désigné pour cela par le sort parmi les prêtres chargés de servir ce jour-là. Appelé par la concomitance de son service et du hasard, il monte sans hésiter vers Dieu pour faire descendre la bénédiction divine sur notre monde. Alors que la vie se refuse à lui, il ne se refuse pas à vivre, il honore son service en se mettant à la tête du peuple en prière. Jean-Baptiste naît ainsi de la prière d’un père qui ne se laisse pas définir par sa stérilité et décide de vivre en prenant sa place dans le monde. N’acceptant pas d’entériner l’œuvre de la mort qui blesse sa capacité à donner la vie, il offre l’encens et choisit donc d’être celui sur lequel repose l’élection d’Israël. En entrant dans le Temple et contre tout ce que tendrait à lui prouver l’épreuve qui marque son existence, il proclame silencieusement que l’appel de Dieu repose sur lui et s’en remet pleinement à cet appel sans savoir comment le Seigneur le rendra fécond. Cette foi défie la mort d’oser le combat avec Dieu, elle évoque l’offrande que Jésus fera de lui-même sur la croix et elle ouvre déjà une fissure dans l’immense barrage dressé par le péché entre le ciel et la terre, faille que le Seigneur désire depuis la nuit des temps pour pouvoir enfin venir jusqu’à l’homme et le ranimer de sa vie.
Le drame d’un couple stérile est révélateur de l’aridité de notre monde, de sa déconnexion d’avec sa source divine. L’asséchement opéré par le péché est venu toucher jusqu’au cœur de la vie qu’est l’amour d’un homme et d’une femme, c’est dire la profondeur du mal. C’est bien à cette profondeur-là que le Seigneur veut nous guérir, pour cela il faut l’y laisser entrer. À la suite de Zacharie, Élisabeth et tout Israël, c’est par la vérité de notre prière que nous permettrons au fleuve de s’élargir. Les véritables priants regardent la mort en face et lui opposent la lumière du Christ dont ils sont revêtus. Voilà ceux dont notre monde a besoin pour retrouver la vie. Amen.