In angustia temporum

star-wars5-movie-screencaps.com-11908Homélie du 10e dimanche du temps ordinaire

« J’ai pris peur parce que je suis nu »

Le Christ est pressé, bousculé, tiraillé. Les foules l’entourent, il ne peut même plus manger, ses proches viennent se saisir de lui, les scribes l’accusent d’être possédé, sa mère et ses frères1 réclament de le voir. Dans cette ambiance oppressante et chaotique, comment a-t-il pu parler, comment son enseignement a-t-il pu être reçu, comment ses paroles ont-elles pu nous être rapportées ? Ceux parmi nous – instituteurs, professeurs, catéchistes – qui essaient de transmettre quelque chose en font la douloureuse expérience ; bien sûr, il y a quelques moments de grâce mais la plupart du temps, c’est à travers la difficulté, la dissipation et dans une forme de lutte, que passe ce que l’on a à transmettre. Ce qui est vrai de l’enseignement l’est de notre vie faite de combat.

Trouble, inquiétude, confusion, angoisse, épreuve, nous vivons ici-bas dans une adversité extérieure et intérieure quasi permanente, entrecoupée de moments de paix précieux et rares. Ceux-ci nous font aspirer à un temps où nous pourrions enfin agir et porter du fruit parce que les conditions s’y prêteraient, mais ce temps n’existera de manière durable qu’au ciel. En effet, il n’en va pas ainsi sur terre où la victoire acquise par le Christ au jour de la Croix doit encore produire ses effets en chacun de nous ; le combat est le moyen par lequel elle rayonne en nous.

Nous devons donc éloigner de nous le tentateur qui nous pousse à attendre demain pour vivre et agir, à rejeter la faute de notre indolence sur les autres ou les circonstances : « Ah ! Quand je serai ceci ou cela, je pourrai enfin tout changer et ce sera bien. » car nous pourrions passer notre vie à vivre demain. « Quand je serai à l’école, au collège, au lycée, en études, au travail, à la retraite… » jusqu’au jour où, plein de regrets, nous dirions : « que ne l’ai-je fait quand j’étais… » Chacun, quels que soient son âge ou sa condition, connaît des peines, des inerties, des épreuves, elles sont notre fragilité. Elles sont la nudité que se découvre Adam : dans ce monde blessé par le mal, l’homme est vulnérable et blessé. « J’ai pris peur parce que je suis nu » dit Adam et cela signifie : j’ai préféré me cacher que risquer l’épreuve. Être chrétien, ce n’est pas être préservé de cette peur mais croire que le Seigneur nous fera porter du fruit à travers celle-ci, par nos difficultés, dans nos épreuves. La Croix en est le signe le plus évident.

C’est au présent que nous sommes appelés par le Christ, c’est là où nous sommes et dans les contingences actuelles que nous porterons du fruit. Nous attachant au Christ qui a accepté d’être soumis au désarroi, au souci et à l’adversité de ce monde pour mieux les vaincre, saisissons notre réalité à bras-le-corps. Dans notre prière de ce jour, faisons avec lui le tour des lieux de notre vie : la famille, le travail, les relations, etc. ; demandons-lui de nous montrer où sont nos fuites, quels sont les mensonges que nous nous faisons à nous-mêmes et qui nous empêchent d’être vraiment là où il nous appelle. Accueillons notre existence actuelle, choisissons-la, embrassons-la, c’est ici et maintenant que nous pouvons être féconds et renouveler ce monde de l’intérieur. Amen.

« Il y a un mot de la sainte Écriture dont nous devons, je crois, toujours nous souvenir, c’est que Jérusalem a été reconstruite « in angustia temporum2 » (Dn 9, 25). Il faut travailler toute notre vie « in angustia temporum ». Les difficultés ne sont pas un état passager à laisser passer comme une bourrasque pour nous mettre au travail quand le temps sera calme ; non, elles sont l’état normal, il faut compter être toute notre vie, pour les choses bonnes que nous voulons faire, « in angustia temporum ». »

Charles de Foucauld, 1er juin 1908. Lettre à Mgr Guérin.

1. Le mot grec ἀδελφός qu’emploie l’évangile n’est pas restreint aux frères de sang comme en français, il s’agit de proches parents.2. « Dans la détresse des temps »