Homélie de la Fête-Dieu
« Il a obtenu une libération définitive »
Jésus se rend présent à nous. Il vient ici. Il vient ici pour nous. Sa présence est entièrement présente en ce sens qu’elle n’a rien de fortuit ni d’indifférent. En se rendant présent, il vise la rencontre car s’il vient c’est bien pour nous rencontrer, pour entrer en relation avec chacun de nous. Tel est le signe de son désir de s’approcher de chacun de nous personnellement et de se livrer à nous : l’hostie est rompue et dans chaque parcelle, le Seigneur est tout entier. Jésus ne divise donc pas sa présence, il est entièrement disponible à tous. Bien qu’invisible à nos yeux, il est là tout entier et il s’y donne à nous.
Quant à nous, en revanche, nous sommes bien visibles mais nous pouvons être totalement absents à cette rencontre. Quand et comment sommes-nous présents ? Réunions ennuyeuses passées à s’occuper en rêvant d’ailleurs, rencontres importunes que l’on fuit en donnant le minimum de soi, solitude pesante à laquelle on se refuse : nous fuyons souvent la réalité présente dans une forme d’absence ; et, lorsque nous ne cherchons pas à fuir, nous nous affrontons à d’autres combats : nous avons voulu écouter cet ami et avons cru y réussir avant de nous apercevoir que nous étions tellement plein de nous-même que nous ne l’avons pas entendu en vérité. D’autres fois au contraire, en nous défilant, nous n’avons pas dit la parole qu’il fallait à ceux qui l’attendaient de nous, nous leur avons refusé notre présence véritable en rechignant à prendre notre place. Il s’agit donc d’être là, vraiment là, d’une présence ouverte qui permette à l’autre d’être présent, une présence qui appelle à la rencontre. Comment espérer être à la hauteur ?
Tout commence certainement par la prière et en particulier l’adoration : c’est là que nous apprenons à rechercher la présence d’un autre qui se cache. Cette présence ne se donne pas comme une fuite facile de notre solitude, mais elle vient lui donner son véritable remède en nous apprenant à nous mettre à l’écoute ; en effet, seul celui qui tend l’oreille y entend quelque chose. Rien qui s’impose dans la présence réelle du Seigneur, il envahit uniquement l’espace qu’on veut bien lui ouvrir. Tant que nous chercherons à combler notre solitude, nous ne rencontrerons pas vraiment les autres, nous les utiliserons pour nous. Aussi avons-nous profondément besoin de la prière pour que le vide qui nous habite soit comblé de la nourriture véritable. Alors, en allant vers nos frères et sœurs, nous serons disponibles à eux sans les chercher comme des rustines pour colmater nos déficiences. La rencontre avec le Christ réellement présent dans l’eucharistie transforme notre angoisse du vide en faim véritable, en même temps qu’elle nous nourrit du seul qui comble.
Elle nous apprend ainsi à entrer dans l’écoute. Ici, il y a une forme de désherbage permanent à opérer : dès lors que nous cherchons à faire de la place pour le Seigneur et pour les autres, nous devons arracher ce qu’il y a en nous de préjugés, de vanité, de bêtise, de lâcheté, tout ce qui ne semble pas si grave au départ mais le devient si on le laisse pulluler. C’est une sorte de chiendent que nous ne cesserons de déraciner pour que l’autre puisse respirer en notre présence et être libre de s’épanouir à notre contact. Écouter véritablement demande un travail quotidien sur notre cœur et l’attention délicate d’un jardinier veillant avec une patience persévérante.
Alors, la mesure de notre ouverture au Seigneur sera celle de notre rencontre des autres. L’espace que nous aurons laissé à Dieu dans la prière se trouvera prêt pour recevoir nos amis, nos connaissances et jusqu’à l’importun. C’est dans l’eucharistie que nous trouverons cette présence réelle et totale, venons-y en y appliquant toutes nos puissances : que notre corps s’en approche avec grâce, que notre esprit s’y attache, que notre cœur en ait un profond désir. En nous emplissant de sa présence, le Seigneur nous donnera d’être présents à notre tour à ceux vers lesquels il nous envoie. Amen.