Cette Église bavarde

blabla.jpgHomélie de la Pentecôte

« Chacun s’exprimait selon le don de l’Esprit »

L’Église est bavarde, elle est une immense conversation. La première chose que font les apôtres envahis de l’Esprit Saint est de parler. Exhortations, homélies, discours, enseignements, nous ne cesserons de nous étonner que le Seigneur ait donné une telle importance à la parole humaine dans son œuvre de salut. C’est d’autant plus surprenant que là apparaît si visiblement sa pauvreté ; il suffit pour s’en convaincre d’écouter ce que disent les chrétiens de la dernière messe à laquelle ils ont assisté. Combien de fois ne nous sommes-nous pas plaints de l’indigence de la prédication en regard de la grandeur du mystère qu’elle doit transmettre ? À en croire le nombre de chrétiens sur cette terre, il faut pourtant admettre que le Seigneur ne s’est pas tellement trompé en se confiant à la fragilité de nos paroles.

Remarquez miséricordieusement que, si écouter une homélie est souvent douloureux, on ne peine pas moins de ce côté-ci du micro. Nul ne choisit d’y être, l’Esprit appelle à cette place comme il a poussé les apôtres à prendre la parole presque malgré eux. Convoqué par l’Esprit, le prédicateur doit, pour y répondre, être à la fois totalement fidèle à la révélation et totalement livré personnellement. Nous sommes dans une sorte de jeu d’équilibriste consistant à ne rien dire qui ne jaillisse de notre cœur tout en ne disant rien qui ne vienne de Dieu. Ainsi, ne devrait être prédicateur que celui dont l’union au Seigneur est telle que, lorsqu’il ouvre la bouche, c’est Jésus qui parle. Autant vous dire que je n’en suis pas là et je demande à tous ceux parmi nous qui peinent sur le chemin de cette sainteté d’avoir ici une pensée compatissante.

En attendant, nous, prêtres, sommes ces êtres paradoxaux, luttant pour transmettre le Christ tout en combattant pour nous offrir à lui ; toujours taxés, et à juste titre, d’être des hypocrites, cherchant à la fois à ce que nos paroles révèlent Jésus en pleine vérité et à ce que nos actes correspondent à la hauteur de nos paroles, nous rappelant que nous n’avons aucune légitimité à annoncer un évangile auquel nous sommes si peu fidèles tout en ouvrant la bouche par obéissance à celui qui nous envoie le proclamer.

Si, malgré nos infirmités, le Seigneur passe, c’est un miracle de l’Esprit similaire à celui des langues. Au jour de la Pentecôte, l’Esprit n’est pas simplement descendu dans le cœur des apôtres, il est aussi venu dans le cœur de ceux qui entendaient. Seul l’Esprit peut nous faire comprendre dans notre langue maternelle, c’est-à-dire dans le langage propre à notre cœur, ce que proclame le prédicateur qui nous parle une langue souvent si étrangère, si inattendue, si incompréhensible et si peu à notre goût.

Voilà pour ce qui est de la prédication que nous entendons à l’église, mais – dommage pour vous ! – la mission de proclamer l’Évangile ne s’arrête pas aux prêtres. Chaque baptisé est appelé à participer à l’immense conversation qu’est l’Église. Ce que nous suons au micro de l’église, n’attendez pas d’être parfaits pour le professer à votre tour, car c’est votre mission de chaque jour. Si c’est l’Esprit qui embrase les cœurs, il ne le fait qu’à travers ceux qui acceptent de se livrer au risque d’une parole maladroite. Au travail, dans la rue ou en famille, mettons-nous en danger, que l’on dise de nous : « ils sont pleins de vin doux », afin que le Seigneur puisse emplir les cœurs de l’ivresse de sa présence. Amen.