Homélie du 6edimanche de Pâques
« Il n’y a pas de plus grand amour que de donner sa vie pour ceux qu’on aime »
Dans la lumière de Pâques, nous revenons sur nos pas. Jésus nous prend par la main pour que nous osions regarder en face le passé et les ténèbres qu’il a traversées pour faire jaillir en nous la joie. La victoire de la résurrection a ses racines dans le sacrifice de la croix mais ce n’est qu’a posteriori que nous pouvons en découvrir la beauté.
Sur le moment, elle n’est qu’horreur. L’offrande totale n’a rien qui puisse nous attirer. Nous contemplons la croix du Christ, nous admirons Maximilien Kolbe et Mère Teresa, en eux nous reconnaissons la voie de notre Seigneur : le sacrifice de soi pour les autres. Nous en peignons des icônes dorées, pourtant sur le moment, le don de leur vie n’eut rien d’attirant. Au cœur d’Auschwitz, parmi les prisonniers dépouillés de leur dignité et leurs bourreaux qui avaient vendu la leur, au milieu des mourants crasseux à Calcutta comme à la porte de Jérusalem sous le regard désabusé des passants, la croix ne se présenta pas dans les habits d’or qu’elle revêt au jour de la victoire. Elle est venue à eux sans gloire et sans chaleur. Jésus avait comme unique inspiration son amour pour nous : un amour dénué de ses atours, un amour sans espoir d’être aimé, une perte de soi-même sans assurance qu’elle porte du fruit pour les autres.
« Il n’y a pas de plus grand amour que de donner sa vie. » Ce verset est le chemin de tout chrétien. Il n’y a pas de vie chrétienne ni de joie chrétienne sans enracinement dans la croix qu’est notre offrande pour les autres. Personne n’échappe à cet appel. Nous qui sommes si fragiles, nous risquons de fuir ce sacrifice et de quitter la suite de notre Seigneur. Aussi nous donne-t-il l’espérance en ce temps pascal. Depuis qu’il a parcouru le chemin du calvaire seul et dans les ténèbres, il a vaincu. Dès lors, si nous sommes appelés à y descendre nous aussi, contrairement à lui, nous n’y marcherons pas seuls, nous le poursuivrons avec lui et forts de la foi en sa victoire.
Pour nous appeler à marcher sur ses pas, c’est donc dans la lumière de sa résurrection que le Seigneur nous montre sa croix. Sans cette espérance, nous ne pourrions pas l’y suivre. Au terme de ce temps pascal, l’Église nous fait entendre les paroles de la veille de sa mort. Après l’épreuve et dans la gloire de sa victoire, elles sont douces et lumineuses : « Comme le Père m’a aimé, moi aussi je vous ai aimés, demeurez en mon amour. ». Maintenant que nous avons vu son offrande sur la croix, nous ne pouvons plus oublier ce que signifie aimer et à quel sacrifice l’amour nous appelle. Nous savons aussi que c’est fort de l’espérance en sa résurrection que nous pouvons nous y offrir à notre tour et plonger avec lui dans les ténèbres car il n’est plus aucune croix où il ne soit pas. Amen.
« La grisaille morne d’un matin d’hiver. Vous vous réveillez l’âme vide et le corps brisé. Votre passé s’appelle vanité ou jamais plus ; l’avenir stagne devant vous. Tout a la couleur de l’impuissance ou de l’avortement. Vos idéals de jadis ont moisi dans la déception. Une tâche sans joie vous appelle. Le monde de vos pensées, de vos affections, de vos œuvres – pauvre chose rapetissée, banale, fade jusqu’à l’écœurement ! Votre Dieu : un mot qui sonne creux. Vos sursauts vers la grandeur, vers la sainteté : vous savez ce qu’il en reste. Les cimes se moquent de vos efforts, les abîmes de vos plongeons. L’heure insipide sonne et fuit. Non pas l’heure de vos rêves, mais l’heure de la réalité – et l’heure de l’amour.
Oui, c’était cela, l’heure de l’amour. Vous aviez rêvé de l’immolation : voici le moment de vous immoler, sans gloire, sans chaleur, dans l’aride silence d’un jour décoloré. L’heure de la réalité, c’est l’heure que vous vivez maintenant, cette heure au goût de cendres. Heure féconde entre toutes. Vous reculez, vous attendiez autre chose. Vous attendiez votre croix, Dieu vous envoie la croix.
Jésus demandait jadis la fidélité dans la persécution et la douleur, il demande maintenant la fidélité dans le vide. »
Gustave Thibon, Aux ailes de la lettre